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Citation de enkidu_


…aussi, si nous considérons maintenant la nature harmonique comme située « plus haut » que la nature rythmique, faut-il comprendre cette hiérarchisation dans un sens relatif et absolu à la fois. Dans un sens relatif d’abord, parce que la relation entre le rythme et l’harmonie est bi-univoque, ou, si l’on préfère, sphérique, au même titre qu’entre la réduction et l’intégration. Mais dans un sens absolu cependant, parce que la nature harmonique est aussi la transmutation qualitative de la nature rythmique et son intégration irréductible, au même titre que l’intégrale est une transmutation sommative qualitativement in-comparable aux différentielles qui s’y fondent.

L’harmonie est le saut d’une quantité rythmée saturée dans une qualité nouvelle et unique détachée du rythme, la transmutation paroxystique de celui-ci. Le rythme était le déploiement organique du temps, l’harmonie en est le resserrement fonctionnel. Tandis que la mélodie additionnait des mots et que le rythme additionnait des phrases en totalisant des mots, l’harmonie totalise des phrases et n’additionne plus riens. A la limite, et toujours en vertu du principe de la contiguïté des extrêmes, la réduction en est asymptotiquement absente comme elle l’est de la mélodie ou, plus exactement, elle n’y est plus sensible parce qu’elle est entièrement accomplie, tandis que dans la mélodie elle n’était pas encore sensible parce qu’elle était entièrement à accomplir.

L’harmonie rassemble dans un seul accent une multiplicité et même, à la limite, une infinité d’accords dont les bouclages partiels et mutuels, en nombre infiniment infini, constituent le symbole même de la vie universelle dans ses dénombrements, en sorte que le verbe de Dieu, qui n’est autre que l’harmonie ultime intégrant toute harmonie, est synonyme d’univers.
(…)
Nous dirons dès lors que la mélodie « pure » crée l’unicité du moment présent par abolition de toute relation « extérieure » à ce moment présent sa vision absolument opaque d’être-en-soi, tandis que l’harmonie « achevée » crée cette même unicité par insertion d’une infinité de relations « intérieures » dans ce moment dans sa vision absolument transparente d’être cause-de-soi. La première est absence d’explication, la deuxième comble d’implication. Les parties de la mélodie sont entièrement indépendantes et juxtaposées, « purement » réduites, celles de l’harmonie entièrement dépendantes et fondues, « absolument » intégrées. La mélodie est stratification ou sédimentation ; l’harmonie, cristallisation.

L’une et l’autre tendent ainsi vers une unité idéale qui est celle de la désintégration absolue dans un cas, de l’intégration absolue dans l’autre. Seul, entre elles, le rythme est porteur de l’ambiguïté transmutatrice du couple réducteur-intégrateur tout entier de l’être pour-soi, et ce couple n’est déséquilibré et génétique que parce qu’il participe justement, par ses deux pôles, des natures irréductibles de la mélodie et de l’harmonie.

A partir de la première, le rythme procède par fondation (du verbe fonder), il additionne ; en allant vers la dernière, il procède par fusion (du verbe fondre), il totalise. On comprendra encore mieux la nature de cette bipolarité correliée si l’on remarque que la mélodie n’est rien sans le temps, mais que le temps n’est rien sans l’harmonie. Le temps fonde la mélodie, l’harmonie fond le temps, elle se passe du temps, elle l’arrête, mais c’est parce qu’elle le remplit. Le comble du temps et la fin du temps. Aussi le secret ultime de la génétique est-il dans ce passage d’un temps vide à un temps rempli que ne peut pourtant contenir rien d’extérieur au temps.

La mélodie est la victoire du temps sur l’espace anorganique, l’harmonie est la victoire de l’espace organique sur le temps, mais ce n’est évidemment plus le même temps. Le premier est forme vide, sédimentation non cimentée d’intervalles tous égaux et interchangeables, et on l’appelle bon droit temps spatial ou géométrique. Le second est plénitude de contenu, paroxysme résolu dans un seul instant insécable, et on l’appelle durée vécue, concentration et suspension de la durée, accomplissement de la vie. (pp. 226-228)
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