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Citation de enkidu_


Lieu et moment éternels du Je transcendental dans le monde, l’Occident ne peut se constituer en tant que tel que par l’exploration préalable et permanente de la négativité divine. C’est cette situation qui donne une telle forme de conversion, en Europe, aux œuvres de l’existentialisme athée, malgré leur négation de la notion d’ineffable et à cause d’elle ; ces œuvres ont su récuser une conception optimiste et d’ailleurs indéterministe de la Providence, celle d’un Dieu satisfait de soi et proposant aux hommes un salut d’essence moraliste et non gnostique qui ne l’engage pas et n’engage même, au contraire, que les hommes.

L’époque actuelle, en Occident, est en effet celle d’une double crucifixion visible et se distingue des époques préparatoires en ce sens qu’elle va incarner et vivre en pleine conscience ce double archétype. Le problème de la séparation du Fils et celui de son retour, c’est-à-dire celui de la double transcendence de l’incarnation et de l’assomption, ne peut plus y être posé comme autrefois en termes de métaphysique spéculative.
(…)
La plupart des ontologistes, qui ne voient dans l’angoisse que le vide simple et non le vide également béant dans ce vide et que les bouddhistes Zen appellent le vide de vide, ne peuvent alors pas comprendre l’expérience paradoxale d’hommes comme Kierkegaard et Kafka qui pressentirent dans l’angoisse un centre gnostique et refusèrent la simplicité de l’angoisse pour sa duplicité, mais furent obligés, ne pouvant la transmuer en gnose, de la renverser dialectiquement et de façon régressive dans la recherche de la foi ou l’espoir de la grâce.
(…)
Aussi se fixèrent-ils sur le Père, non sur le Fils. Et c’est en cela qu’ils sont aujourd’hui dépassés par l’Occident pour n’avoir été porteurs que d’une négation, non de deux. Ils ne sont pas entrés dans la série des doubles. Le refus du mariage dans lequel leur angoisse essaya de s’éprouver et de se construire, et qui fut la décision fondamentale de leur vie, signifia qu’ils se détournaient de tout « succédané », de tout ce qu’ils croyaient être une solution adoucissante ou consolante dans une filiation.

N’étant pas eux-mêmes le Fils, ils se voulurent dans la liberté du Père avant sa limitation par la Mère, mais cette situation ne pouvait être soutenue, car ce qui constitue le Père, c’est la Mère. Nietzsche posa le même problème en l’inversant. Il vécut cruellement le destin du Fils souffrant, et il le vécut suffisamment pour maudire le Père et réclamer le triomphe de Dionysos sur le Crucifié. Pourtant, il ne pouvait être Dionysos. Dionysos était pour lui le Dieu re-unifié, mais il ne pouvait y atteindre, lui non plus que par le mariage androgynique avec cette Ariane qu’il appela toute sa vie sans l’obtenir et sans se l’avouer à lui-même. Car Ariane, sous le nom de Cosima ou de Lou-Andréas Salomé, ne fut jamais que le symbole de la connaissance, et Nietzsche était, comme Kierkegaard et Kafka, un agnostique.

Or, la gnose est la seule intensification possible de l’angoisse et sa seule résolution, le seul moyen de constituer le Fils en nous. Nous serons sans cesse renvoyés à la fonction gnosique du Fils et à la montée en lui de l’intelligence, qui correspond à sa féminisation transcendentale, au mariage à la fois perpétuel et final de l’Époux et de la Sophia, l’ascension de l’un étant l’assomption de l’autre. (pp. 330-332)
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