Raymond Hostie

La tension entre l'attitude adulte désirée mais irréalisable et l'attitude infantile réalisée mais indésirable, voilà la névrose. Comme la fièvre, elle est symptôme d'un déséquilibre, mais en même temps elle est effort de rétablissement. Dans la névrose même "le malade cherche ce qui peut donner un sens à son désarroi chaotique ". Pour mener à bien cette tâche, il doit parvenir à remonter du niveau inférieur non seulement en débloquant sa libido, mais surtout en la conduisant par des chemins nouveaux. Jung découvre que la fonction psychique qui s'y prête le mieux est le symbole. Le symbole, en effet, est l'expression analogue d'un état au niveau inférieur, bien qu'il appartienne au niveau supérieur. Pour cette raison, l'église-mère, par exemple, pourra dégager l'énergie psychique qui est investie au niveau infantile dans une fixation à la mère, et l'élever au niveau religieux. Le symbole jette un pont, grâce auquel la libido, qui en tant qu'intensité pure et simple n'est pas liée à un niveau déterminé, réalisera une situation authentique au niveau supérieur, alors même qu'elle garde les traces de l'étape inférieure. Le rôle psychologique du symbole et sa valeur exacte présente assez d'intérêt pour y consacre la partie suivante de ce chapitre.

Chapitre II. Les vues fondamentales de la psychologie analytique

Il est donc nécessaire d'étudier toute l'oeuvre de Jung pour parvenir à une synthèse que la maître zurichois n'a jamais réalisée, dans son désir insatiable de pénétrer toujours plus loin dans les régions inexplorés de la psychique.
(...)
Les considérations qui précédent nous ont incité à diviser notre étude en deux parties. La première est consacré à un exposé des principales conceptions de Jung. Cet exposé est absolument nécessaire, étant donné que Jung lui-même n'a jamais publié un aperçu synthétique de sa psychologie auquel nous pourrions nous référer. Les recherches de Jung se sont peu à peu enrichies d'un grand nombre de données empiriques et d'expériences psychothérapeutiques. Celui qui veut émettre un jugement sur cet auteur doit retracer avant tout l'évolution de sa pensée. Sinon, on aboutit -(...)- à des conclusions unilatérales ou contradictoires, parce qu'on est dans l'impossibilité de saisir l'ensemble de l'oeuvre dans son développement chronologique. Pour éviter cet inconvénient majeur, nous avons respecté scrupuleusement la chronologie des différents ouvrages et même de leurs subdivisions, introductions, etc, (...).
A la lumière des conclusions de notre première partie, nous établirons, dans la deuxième partie de notre travail, ce que Jung entend par religion ou par attitude religieuse et ensuite quel rôle il accorde aux religions, en tant que confessions; A partir de ce moment, un dialogue critique est possible. Nous pourrons enfin vérifier les implications de la psychologie analytique, qui s'étendent jusqu'aux domaines de la théologie dogmatique et pastorale.

Introduction
Psychologie analytique et religion

Le Martien est un homme qui observe les évènements sans idées préconçues ; son point de vue est celui d'un regard neuf. Comme les enfants, le Martien aime les contes de fées. il les écoute attentivement. Il ne proteste pas quand le loup se met à parler, même s'il n'a jamais rencontré de loup doué de parole. A part lui, il se demande bien à quels gens il arrive de rencontrer des loups qui parlent. Bien d'autres questions lui viennent à l'esprit. Pourquoi la mère se débarrasse-t-elle du petit Chaperon Rouge pour la journée ? Pourquoi l'envoie-t-elle à travers bois, sans l'avertir de ne pas parler aux loups ? Pourquoi le petit Chaperon Rouge donne-t-il sans hésiter l'adresse de sa grand-mère au loup ? Pourquoi Grand-Mère vit-elle seule au milieu des bois ? Pourquoi le petit Chaperon Rouge grimpe-t-il dans le lit de la Grand-Mère ? le Martien en demeure éberlué. Il se fait philosophe. Il tire la morale de cette histoire : les loups doivent se méfier des petites filles au regard innocent.

Pour Jung, les archétypes ont toujours constitué une hypothèse. Ils le restent jusqu'à ce jour. La raison en est fort simple. Comme les archétypes constituent par définition la partie la plus profonde de l'inconscient, ils sont pour ainsi dire inaccessibles. Il n'y a donc pas moyen de les découvrir directement ou de les rendre conscients au sens plénier du mot. (...)
Ce caractère hypothétique des archétypes, qui sont postulés mais non appréhendés, n'ébranle en rien la conviction de Jung. Il est convaincu que son hypothèse est assise sur des bases solides qu'aucune critique n'a pu entamer. Néanmoins, il concède volontiers que la description et l'analyse des archétypes n'en sont encore qu'à leurs débuts. Aussi désire-t-il les approfondir à tout prix.

Chapitre II. Les vues fondamentales de la psychologie analytique
3. Les archétypes
a) L'hypothèse des archétypes

Le symbole, procédant de l'interaction du conscient et de l'inconscient, est une préfiguration possible, sous une forme imagée, de l'évolution ultérieure du sujet. La méthode synthétique le prend donc comme point de départ, afin d'aider le patient à réaliser dans sa vie concrète, tant au niveau de la pensée qu'à celui de l'action, sa propre totalité. Cette totalité de la personne n'est cependant pas uniquement déterminée par son passé individuel, mais aussi par son appartenance au groupe humain. C'est ici que s'amorce l'étude des archétypes et de l'inconscient collectif.

Chapitre II. Les vues fondamentales de la psychologie analytique
2. Image et symbole

Malgré son admiration sincère, Jung ne sera jamais un disciple conformiste. Alors même qu'il empruntait à Freud la plupart de ses théories et presque l'ensemble de sa technique, il revendique sa qualité de chercheur indépendant. S'il s'inspire volontiers des travaux et des découvertes du maître de Vienne afin de les approfondir et de les corriger au besoin, il n'en formule pas moins, dès 1906, de strictes réserves concernant certains points capitaux. "Faire justice à freud ne signifie pas se soumettre inconditionnellement à un dogme. Il est fort bien possible de sauvegarder un jugement indépendant. j'accepte par exemple les mécanismes complexes du rêve et de l'hystérie, mais je n'accorde pas pour autant au traumatisme sexuel infantile l'importance exclusive que Freud y attache apparemment. de même je ne mets pas la sexualité au premier plan. Je ne lui attribue certainement pas la valeur psychologique universelle que Freud postule, semble-t-il, sous l'influence du rôle énorme que la sexualité joue sans aucun doute dans la psyché."

Chapitre II. Les vues fondamentales de la psychologie analytique

Pour mieux comprendre l'homme actuel, il va sur place étudier la vie, les coutumes et les conceptions des peuples primitifs, aussi bien en Afrique Centrale (1921 et 1926) qu'en Amérique du Nord (1924-1925). Au cours de ces mêmes années, il entrevoit, grâce à son ami Richard Wilhelm, le sens caché des philosophies et religions de la Chine, du Tibet et de l'Inde. Vers 1930, il découvre que tant la gnose des Anciens que l'alchimie du Moyen-Age lui fournissent des données fort instructives.Enfin, plus récemment encore, surtout depuis 1935, certains dogmes centraux du catholicisme font l'objet de ses études psychologiques dans plusieurs oeuvres consécutives. Alors que les publications de Jung, parues entre 1915 et 1935, traitaient presque exclusivement de sa psychologie analytique, ses livres plus récents sont consacrés avant tout à l'examen psychologique de l'alchimie, du gnosticisme et du dogme catholique.

Introduction
Psychologie analytique et religion

Jung, (...), veut s'occuper de l'âme, telle qu'elle se présente tout entière. Il ne savait que trop combien cette entreprise était audacieuse mais ses malades l'ont forcé à s'engager dans cette voie. En désignant sa propre psychologie par l'adjectif " analytique ", il reconnaît implicitement que sa science est fortement tributaire de la psychanalyse. Pendant plusieurs années il en a été un des défenseurs les plus ardents, en sa qualité de fondateur et de premeire président de l'Internationale Psychoanalytishe Gesellschaft. Lors de la rupture définitive avec Freud en 1913, des reproches amers et des jugements peu équitables furent proférés de part et d'autre. Toutefois, Jung n'a cessé de reconnaître que sa collaboration avec Freud a enrichi sa pensée. Le nom même de sa psychologie le prouve.

Introduction
Psychologie analytique et religion

Les problèmes posés par les rapports entre la psychologie analytique et la religion découlent des idées avancées par Jung. Dans ces conditions, il serait injustifié d'examiner ces rapports et de les critiquer éventuellement à partir des données extrinsèques, par exemple en exposant le contenu d'une confession déterminée et en le juxtaposant ou en l'opposant aux conclusions de la psychologie analytique. (...). Il y a donc lieu de fixer au préalable la portée exacte des données de la psychologie analytique qui entrent dans notre perspective.Ce n'est qu'après un examen fouillé de ces données qu'il nous sera possible de comprendre ce que la religion signifie pour Jung, et d'entamer une étude comparative sérieuse des données psychologiques et théologiques se rapportant à la religion.

Introduction
Psychologie analytique et religion

Freud avait conçu l'inconscient comme l'ensemble des éléments psychiques refoulés. A cause de ce refoulement, ils exerçaient leur activité indépendamment du moi. Jung par contre était d'avis qu'en plus de cet inconscient, qu'il acceptait, sans hésitation aucune, comme " l'inconscient personnel ", il fallait admettre un niveau plus fondamental encore, qui était commun à tous les hommes et méritait, de ce fait, le nom d' " inconscient collectif ". Ce dernier niveau de l'inconscient n'est pas le produit de refoulements, mais est situé à la racine même de la conscience, dont il n'est que la forme a priori non actuée.

Chapitre premier
La méthode empirique en psychologie analytique
2.L'objet de la psychologie analytique