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Citation de Le_Raconteur


Les clichés historiques ont la vie dure. On le remarque à propos des Croisades. Et d’abord la persistance même du terme a de quoi surprendre : il y a bien longtemps pourtant que les médiévistes ont fait remarquer qu’il s’agissait là d’un vocable moderne, né probablement à l’imitation de l’espagnol cruzada ou de l’italien cruzeta (termes qui désignaient d’ailleurs les aumônes versées au profit des captifs en Terre sainte et non les expéditions elles-mêmes). « Croisade » n’est guère utilisé dans notre langue avant le XVIIe siècle. La numérotation qui leur a été appliquée, quant à elle, constitue certes un système commode, mais ne correspond à aucune réalité ; la tentation était forte d’assimiler plus ou moins ces expéditions aux entreprises coloniales, voire aux guerres napoléoniennes…

Dans un précédent ouvrage, nous nous amusions à rappeler le résumé des manuels scolaires de jadis à propos de la mort de Saint Louis : « Saint Louis est mort de la peste à Tunis lors de la Huitième Croisade. » – un tissu d’erreurs : il ne s’agissait pas de peste (mais de dysenterie), le roi est mort à Carthage et le numéro huit assigné à son expédition ne signifie rigoureusement rien. Les huit Croisades, entre les sept merveilles du monde et les neuf muses de l’Antiquité, représentent une conception infantile de l’histoire, une classification hors de toute réalité.

Et ce n’est pas, loin de là, le seul cliché à réviser à propos des « Croisades ». L’image qui vient spontanément à l’esprit à leur propos est celle d’armées sur le modèle des nôtres : des troupes marchant au pas sous la direction de chefs militaires, rois, princes ou empereurs en tête. Or telle n’est pas du tout, on l’aura constaté, l’impression que nous fait la lecture d’Anne Commène : « De vastes foules, hommes, femmes et enfants », écrit-elle. On imagine obstinément le seigneur partant seul, entre hommes, laissant la châtelaine au château. Or, dans l’immense majorité des cas, les chroniqueurs nous disent le contraire : le chevalier part, et la dame aussi. Certains historiens on cru devoir expliquer le départ de Marguerite de Provence, au XIIIe siècle, au côté de Saint Louis son époux, par son désir de fuir sa belle-mère la reine Blanche !… Que dire alors de sa soeur Béatrice, partie avec son mari Charles d’Anjou et qui n’avait pas de belle-mère proche à redouter ? (…)

L’usage général, en réalité, c’est de voir les couples partir ensemble, les dames accompagnant normalement leurs époux. La question ne s’était pas posée pour un Godefroy de Bouillon parce qu’il n’était pas marié ; elle se posait en termes différents lorsque la défense ou l’exploitation d’un domaine important rendait nécessaire la présence de la femme en l’absence du mari - comme ce fut le cas pour une Clémence de Bourgogne, épouse de Robert de Flandre, ou pour une Adèle de Blois. Parfois encore des raisons de santé ont pu intervenir, bien que certaines femmes aient pris le départ étant enceintes et aient accouché en route. Mais l’habitude générale, répétons-le, c’est de voir le chevalier et la dame partir ensemble.

A cela une raison profonde : on ne part pas tant pour une expédition militaire, une guerre de conquête, que pour un pèlerinage. Pèlerinage en armes, mais pèlerinage tout de même. A en oublier ce point de départ essentiel, on risque de ne rien comprendre aux « Croisades », vaste mouvement qui ébranla toute l’Europe : « foule incommensurable d’hommes du peuple, avec femmes et enfants, tous les croix rouges sur l’épaule, dont le nombre dépassait celui des grains de sable au bord de la mer et des étoiles au ciel, qui s’étaient précipités de tous les pays » - comme l’écrit non sans quelque emphase Anne Commène, parlant de la Croisade populaire.
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