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Citation de Partemps


DIRE LE MONDE
«... une tentative pour lire les lignes du monde.»

K. WHITE, Texte inaugural de l’Institut de Géopoétique

1. Poétique de la géopoétique
Si la poétique du surréalisme est essentiellement caractérisée par l’écriture automatique, celle de la géopoétique l’est peut-être par la lecture du monde.

Mais il faut réinventer la notion de lecture, pervertie, appauvrie par celle d’information (les surréalistes avaient compris cela, ils ont substitué au lire un délire, mais se sont arrêtés là...

Lire, ce n’est pas d’abord déchiffrer un message écrit par des hommes pour des hommes. On dit souvent que l’origine de l’écriture fut la nécessité de garder trace de transactions commerciales, ou que l’origine du langage est dans le «mot d’ordre», c’est-à-dire dans les impératifs de l’organisation sociale. Sans avoir les moyens de le prouver, je conjecture que cette conception est fausse (en fait tout dépend de ce que l’on appelle origine). La lecture précède l’écriture. L’écriture suppose une «lisibilité». Lisibilité du monde. A tout prendre je préfère la légende chinoise qui voit l’origine de l’écriture (picto-idéographique) dans l’observation des craquelures dans les carapaces de tortues... (on a déjà souligné le caractère foncièrement morphologique de la pensée chinoise).

Cosmos - logos

Lire le monde: désir de connaître. «Si tu veux connaître le pin, approche-toi du pin» (Connaissance commençante, mue par le désir)[8].

La poésie n’est ni expression de soi ni description du monde, elle est le moment de la connaissance naissante. Les premiers mots de la (re)connaissance, encore tout embués de désir, sont naturellement poétiques.

Nous ne savons plus lire le monde parce que nous ne savons plus lire, parce que nous croyons que lire c’est déchiffrer un message.

Le notion de «lois de la nature», par exemple, tend à nous faire penser que la nature recèle un message caché (censé écrit par Dieu), qu’elle serait elle-même une sorte de texte qu’il appartient à la science de déchiffrer.

Mais lire, c’est comme nager ou danser. Du bon pêcheur on dit qu’il «lit la rivière»[9] Les Esquimaux savent lire la neige et les nomades le sable du désert[10]

Lire avec son corps et non avec son ordinateur mental. Thoreau disait qu’il diagnostiquait son état de santé à son aptitude à entendre le chant de la grive.

Entendre avant de chercher à «comprendre». Entendre.

Voir sans assigner.

Voir la lumière sur les choses avant de leur assigner des fonctions, des significations, des symboles. Voir la lumière sur les choses, c’est ce qu’on appelle «peindre». Voir la lumière une sur le monde multiple, posée telle un baiser sur la surface des choses. (Considérer les choses plus largement qu’en fonction de leur stricte utilité connue (matérielle ou symbolique). Entrer dans un rapport d’être à être, et non seulement de prédateur à proie (ou l’inverse).

Lire l’espace réel. Sortons une bonne fois pour toutes de cette oscillation pseudo -philosophique (Fâne de maître Picotin) entre une conception «froide» du réel comme donné objectif existant en dehors de toute perception, et la conception symétrique qui le tient pour un pur «construit» social ou subjectif. Dans la lecture d’une chose réelle se mêlent indissociablement la reconnaissance de ce que cette chose est, et l’émotion liée au fait qu’elle nous dit quelque chose, d’elle-même, du monde, de nous-mêmes.

Seules les choses «réelles» ont la propriété d’être lisibles (expressives). Réel, cela veut dire: aussi réel que nous. La réalité n’est ni un état ni une qualité objective mais une «classe d’équivalence» (ou de réciprocité): m’est réel ce qui est aussi réel que moi.

La Terre, «la Terre», c’est précisément la classe de commune réalité des êtres terrestres. Être terrestre: c’est ce que nous avons de commun, c’est ce par quoi nous sommes (réciproquement) réels.

La poéticité est liée à l’essence du réel en tant qu’il est réciproque.

Nous ne savons plus nommer les êtres, les choses, les paysages, car nommer c’est lire leur nom sur le visage des choses. Au lieu de cela nous croyons que nommer c’est repérer, assigner à une place déterminée dans un système formel prédéterminé: tableau de Mendéléièv, lignées patronymiques, codage par genres et espèces (Linné), étymologies... mais tout cela ne fournit que des étiquettes. Nous ne savons plus localiser, nous contentant de calculer latitudes et longitudes sur une carte. Nous ne savons plus former, car nous ne savons plus que la forme est l’apparence essentielle d’une chose son apparition, sa venue au monde, à la lumière. Nous croyons que former c’est attribuer un code graphique (bientôt les «codes barres» auront remplacé le nom et la forme des choses, puis leur couleur et leur saveur!...).

2. La relation poétique à la terre
Ne pas faire trop d’hypo-thèses (ni l’Hypothèse Dieu ni d’autres).
Demeurer à fleur de réalité.
Que la réalité telle quelle est merveille.
Sentir cela. Exprimer cela.
Le sens premier est celui de l’intérêt.

Avant toute perception sensorielle définie, avant toute pensée articulée, il y a cet affect im-médiat: quelque chose, autre-que-moi, m’intéresse.

Qu’est-ce qu’un objet intéressant?
Ce vers quoi l’on se tourne. Ce qui nous mobilise.
Qu’est-ce qui nous inter-esse?

C’est une question vitale, une ligne de partage entre les objets qui viendront en lumière et ceux qui deviendront invisibles, impensés, négligés.

L’enjeu de la géopoétique est de rendre à nouveau la terre intéressante. Que la terre, la terre elle-même, les êtres-de-la-terre, les moments de la terre, hors de tout surcodage symbolique comme de toute réduction fonctionnaliste, deviennent la chose intéressante, passionnante, merveilleuse.

Il ne faut pas seulement considérer la géopoétique comme une poétique particulière, qui s’occuperait de la Terre (ou de la Nature), parmi d’autres poétiques consacrées, elles, à d’autres domaines (imaginaire, social, linguistique...). La géopoétique se présente bien plutôt comme la redécouverte d’une «poétique fondamentale» (Kenneth White), et ce, non pas parce qu’elle reviendrait à des choses «naturelles», ou à un supposé état originel (il n’est pas question de fondamentalisme), mais parce qu’elle propose du poétique la conception la plus riche et la plus intéressante. La poétique la plus riche et la plus intéressante est liée à la Terre. Qu’est-ce que cela veut dire exactement? Que la Terre est ce qui nous offre la plus riche panoplie de formes, de types d’êtres, de couleurs, de sensations, de trouvailles, de «formules» (le lieu et la formule de Rimbaud). Que la terre, parce qu’elle conserve toute son extériorité. (I’«exotisme» de Segalen, le «dehors» d’Olson et de White), son irréductibilité à la pensée et à la société humaines, est finalement un plus riche réservoir de nouveauté et de surprise que tout l’imaginaire que l’on voudra. Mais ce n’est pas tout, ce n’est même pas l’essentiel. L’essentiel est que le lien entre Poétique et Terre n’est pas une relation de sujet-artiste (le poète) à objet-matière (la Terre). Il ne s’agit pas de décrire ni même (encore moins) de «s’inspirer» de la Terre, mais de comprendre et d’expérimenter que c’est notre «terrestreté», la sensation-de-monde en nous, notre connaissance désirante et sensible de la Terre qui est la source de la poétique la plus fertile. Cela est fondé sur le fait que toute sensation réelle, c’est-à-dire «terrestre», est simultanément expressive.

Voir et dire sont une même chose[11], dès lors que ce voir-et-dire est situé dans une «relation essentielle» (inter-essement), relation entre une «partie» (un moi) et un «tout» (un monde) qui suppose distinction mais non séparation[12].

Il y a poésie lorsque le mot n’est pas mur de séparation, mais éclair de reconnaissance entre le moi et le monde. «Poétique» signifie émotion active, émotion devenue créative et cognitive; connaissance et création fondées dans notre émotion vitale; émotion qui ne nous enferme pas en nous-mêmes mais qui au contraire nous ouvre et nous fait connaître. «Poétique» signifie fondamentalement une relation, relation intense et vraie entre moi et ce qui m’est à la fois le plus proche et le plus exotique, distinct et commun: La Terre.

Lire géopoétiquement les choses, c’est y lire le monde.
Éthique géopoétique: rendre les choses «riches en monde».
Un acte géopoétique augmente la teneur en monde de la réalité.

3. Le langage du monde
L’un des fondements de la géopoétique est la prise de conscience que le langage lui-même est une sorte d’être réel, et qu’en tant que tel il est doué d’«étendue»: non seulement dans ses aspects matériel (sonore) et temporel (rythmique), mais également au niveau sémantique: il y a une «musique des significations», comme il y a une logique (spatiale) des sensations (Deleuze, Cézanne). Il y a un espace, des couleurs et des chaleurs, des qualités et des forces... dans les significations elles-mêmes, les images, les idées... Une vraie idée est une force, a une température, une texture, c’est un être plein de «sève» et non un signe diaphane auquel on pourrait croire ou ne pas croire, un instrument servile et neutre dont on pourrait se servir à loisir.

En fait la division de la linguistique entre phonétique et sémantique a reproduit dans le langage la séparation désastreuse de l’esprit et du corps (distinction avec séparation). La géopoétique est au contraire l’horizon de leurs retrouvailles.

Relisons encore cette section du Grand Rivage[13] qui enseigne que le poème est toujours, avant tout:

langage exemplaire
subtil comme la fleur
fluide comme la vague

souple comme le rameau
puissant comme le vent
dense comme le roc
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