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Citation de AuroraeLibri


Brontë : Œuvres, tome I (1826-1847). (Pléiade, 2008, 1720 pages). Contient : Charlotte et Patrick Branwell Brontë : Récits et Poèmes (1826-1839) ; Emily Brontë : Poèmes (1837-1848) ; Anne Brontë : Alexander et Zenobia (1837) ; Patrick Branwell Brontë : Poèmes publiés (1841-1847) ; Charlotte, Emily et Anne Brontë :Poèmes (1846) ; Charlotte Brontë :Jane Eyre


C’est après le deuxième volume des œuvres des Brontë dans la Pléiade contenant les textes des années 1847-1848, que paraît le premier volume, qui offre une grande part des écrits de jeunesse, dont certains jusqu’alors inédits en français, et le premier roman publié par Charlotte, Jane Eyre (1847). Le respect de la chronologie aurait sans doute voulu que Jane Eyre figurât au tome II, et Le Professeur, premier roman écrit par Charlotte, publié de façon posthume, au tome I. C’est sans doute pour des raisons commerciales que les responsables de la Pléiade ont choisi de placer Jane Eyre dans ce premier tome, comme « accroche », estimant qu’un volume comprenant uniquement des inédits de jeunesse, des Poèmes, et un roman de jeunesse posthume (Le Professeur) avait peu de chances de devenir un best-seller. On ne leur en voudra cependant pas trop, dans la mesure où ce tome I offre une sélection d’écrits de jeunesse passionnante, et qui rend toute sa place à Branwell, le frère maudit et souvent oublié.

Ce sont en effet les Écrits de jeunesse de Charlotte et Branwell qui font tout le prix de ce tome I : 780 pages qu’on n’avait encore jamais pu lire en français, et qui complètent – sans le recouper – le choix de Juvenilia publié naguère par Raymond Bellour chez Pauvert, et disponible dans le tome III des Œuvres des Brontë chez Bouquins/Laffont.

On sait que, très jeunes, dans l’isolement du presbytère de Haworth, les quatre enfants privés de mère se sont réfugiés dans des jeux de l’esprit, créant, à partir des soldats de bois offerts par son père au petit Branwell, des royaumes imaginaires dont ils allaient se faire les minutieux chroniqueurs. Branwell et Charlotte, les deux aînés, inventent la ville de Glasstown, en Afrique, qui, très vite, prendra le nom de Verdopolis, puis celle d’Angria, une colonie dissidente. Les deux plus jeunes, Emily et Charlotte, font sécession, et se réfugient dans le royaume de Glondal. Des écrits de Glondal, rien ne nous est parvenu (hormis quelques poèmes que l’on trouvera dans cette édition). Mais les écrits sur Angria, rédigés par Charlotte et Branwell sur des carnets de petit format, reliés comme de vrais livres, ont été en grande partie conservés, et constituent une masse plus importante, paraît-il, que l’ensemble des romans publiés par les trois sœurs. Ils n’ont jamais été publiés dans leur intégralité, même en Angleterre. En France, nous l’avons dit, le choix effectué par la Pléiade complète celui de Bouquins (on trouve aussi quelques « romans » d’Angria publiés séparément : notamment Hôtel Stancliff au Rocher). On dispose ainsi maintenant d’une bonne partie des écrits angriens de Charlotte et Branwell – ce qui donne envie de pouvoir un jour, enfin, les lire dans leur totalité.
Un feuilleton à quatre mains

Ces écrits angriens, en effet, loin de n’être que des « curiosités » destinées aux spécialistes, constituent un ensemble unique dans l’histoire littéraire, un feuilleton à quatre mains aux variations et aux ramifications infinies. Charlotte et Branwell, chacun de leur côté, inventent de nouveaux épisodes de la chronique de Verdopolis et d’Angria, épisodes dont doit tenir compte le coresponsable de la chronique. Et même s’il arrive à Charlotte de « ressusciter » (dans Le Retour de Zamorna) un personnage (Mary Percy) que Branwell venait de supprimer, elle doit intégrer à son histoire les remous politiques suscités par son frère.

À lire ces récits dans la continuité, on distingue rapidement très bien la patte de Charlotte de celle de Branwell. Branwell aime la politique, les intrigues, les guerres civiles, les révolutions. Charlotte, elle, tend plutôt à raconter la vie à la cour et dans les riches demeures, à s’étendre sur les luxueux costumes, et sur les intermittences du cœur. Chacun des deux écrivains a son héros préféré. Pour Branwell, il s’agit d’Alexander Percy, dit Rogue, dit Northangerland, ancien pirate, aventurier cruel, débauché, intelligent, puissant, politique subtil, général de génie, fomenteur de troubles, véritable héros romantique noir, qui tient de Byron et de Bonaparte. Charlotte, elle, éprouve quelque faiblesse pour Arthur Wellesley, dit Zamorna, roi d’Angria, beau, généreux, séduisant, compagnon et ennemi intime de Rogue, dont il épousera la fille, Mary. Rogue et Zamorna dominent les écrits angriens. On voit leur personnage gagner en complexité, on suit leurs aventures, on les sent devenir des héros adultes au fur et à mesure que leurs créateurs gagnent eux-mêmes en maturité. Dans Mina Laury (1839), un de ses derniers récits angriens, Charlotte en arrive pourtant à se moquer de son cher Zamorna, présenté comme un séducteur vieillissant, ventripotent, peu scrupuleux, assez fat et vaguement ridicule.

Les personnages prolifèrent (les éditeurs de la Pléiade ont eu l’heureuse idée d’en donner un dictionnaire), les intrigues s’entrecroisent (celles imaginées par Branwell sont particulièrement complexes). On sent, peu à peu, poindre une forme de folie. Pour Charlotte et Branwell, Angria et ses personnages semblent avoir plus de réalité que le monde réel, leur servir de refuge, de lieu de fuite. Branwell s’y est usé, s’y est vidé, s’y est perdu. Charlotte, elle, y renonce, sciemment, en 1839 (elle a vingt-trois ans) dans un texte mélancolique, Adieu à Angria, adieu lucide d’un créateur à son monde imaginaire qui menace de le dévorer.

Les textes, en eux-mêmes, sont passionnants. On y découvre des décors, des personnages, des thèmes, qui réapparaîtront dans les romans de la maturité. La Laine en hausse, roman angrien de Branwell, histoire d’un nouveau riche propriétaire d’une filature (il s’agit d’un fils abandonné par Alexander Percy), annonce déjà le Vilette de Charlotte, et les personnages des deux frères dont l’un exploite l’autre se retrouveront dans Le Professeur. Quant au vieux Sdeath, âme damnée d’Alexander Percy, vieillard puritain et assassin, il annonce le vieux Joseph des Hauts de Hurlevent.

On est impressionné par la force créatrice de ces deux enfants qui inventent – comme plus tard Conrad dans Nostromo – un pays imaginaire, avec son histoire, sa géographie, sa population. La saga d’Angria est infiniment plastique, souple, malléable. Elle représente un cas unique : le génie du roman à l’état pur, à l’état sauvage, tel que le possèdent deux adolescents. On pourrait gloser longtemps sur un parallèle entre Branwell et Rimbaud, deux génies adolescents fauchés par l’intensité de leur création.

Mais la chronique d’Angria n’est pas uniquement un cas d’école littéraire. Certains textes, en soi, sont magnifiques, notamment La Vie du très honorable maréchal Alexander Percy, de Branwell, portrait en pied de l’aventurier romantique, ou la belle histoire d’amour de Mina Laury, par Charlotte, qui n’est pas loin des romans qu’elle écrira ensuite (et que l’on peut préférer à son premier opus, Le Professeur).
Jane Eyre

Les récits angriens constituent le terreau immense, fascinant, d’une extraordinaire richesse, sur lequel ont germé, ensuite, les romans des Brontë.

Ces huit cents pages justifient à elles seules l’achat de la Pléiade, dans laquelle on retrouvera avec plaisir Jane Eyre. Le plus célèbre roman de Charlotte a toujours fait quelque peu figure de parent pauvre à côté des abîmes et de la noirceur des Hauts de Hurlevent. C’est dommage, car il contient aussi sa part de folie et d’excès, et propose des scènes aussi sombres que celles imaginées par Emily (notamment de beaux nocturnes sur la lande). Rochester est un personnage aussi extrême, aussi opaque, aussi peu assimilable par un roman « psychologique » traditionnel que l’est Heathcliff. Jane Eyre, comme Wüthering Heights, est un poème d’amour fou, loin de la sage vision de roman sentimentale pour jeune fille que l’on en a souvent.

Après Bouquins, la Pléiade entérine l’idée que l’œuvre des quatre enfants du pasteur Brontë constitue un tout, un massif unique, et que chaque élément perd à être séparé des autres. C’est une bonne chose.
Plan de l'article
Brontë : Œuvres, tome I (1826-1847). (Pléiade, 2008, 1720 pages). Contient : Charlotte et Patrick Branwell Brontë : Récits et Poèmes (1826-1839) ; Emily Brontë : Poèmes (1837-1848) ; Anne Brontë : Alexander et Zenobia (1837) ; Patrick Branwell Brontë : Poèmes publiés (1841-1847) ; Charlotte, Emily et Anne Brontë :Poèmes (1846) ; Charlotte Brontë :Jane Eyre
Un feuilleton à quatre mains
Jane Eyre
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