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Citation de lanard


le codex mit quatre siècles à s'imposer en dehors des communautés chrétiennes. Les scribes n'étaient sans doute pas prêts à faire face à la nouvelle organisation matérielle qu'impliquait la page et il est probable que les habitudes des lettrés ralentirent sa diffusion. En outre, à chaque support est attaché un certain nombre de représentations et donc de valeurs: c'est ce qui explique la coexistence de formats concurrents aux époques charnières et dans les aires culturelles très différentes.(...)
Par ailleurs, les technologies nécessaires à l'exploitation optimale du codex n'étaient pas encore prêtes. Certes, dès le VIe siècle, des initiales ornées indiquent les divisions du texte; et dans la seconde moitié du VIIIè siècle sont fixées les habitudes typographiques qui prévaudront durant tout le moyen âge - point, virgule, majuscule. Mais c'est au XIIè siècle seulement qu’apparaissent les index, les catalogues, les tables des matières et les concordances permettant de tirer les profit de ces avancées graphiques, comme l'a bien montré Ivan Illich dans un ouvrage daté mais important, Du lisible au visible. "Avec l'essor des ordres monastiques", écrit Anthony Grafton, "les écoles se multiplient et les scriptoria peuvent produire des ouvrages de plus en plus complexes" menées sur l'espace de la page (alphabétisation des index, chapitrage, rythmique du blanc, lettrines, découpage, etc.), si bien qu'elle peut être consultée plus facilement pour trouver un passage. Elle rencontre alors de nouvelles exigences universitaires, qui imposent de lire rapidement. Ainsi, à la fin du XIIe siècle, les étudiants parisiens exploitent cette nouvelle organisation de la page par divisions.
Dès lors, le texte se dissocie du livre: il ne fait plus strictement corps avec la page; il plane, écrit Ivan Illich, comme une ombre au-dessus du livre; il devient un objet reproductible selon des normes et des standards. La multiplication des compilations d'extraits de livres illustre bien cette dissociation: les étudiants ont alors la possibilité de ne consulter que les parties des ouvrages qu'ils jugent les plus utiles. L'imprimerie, en somme, ne fit qu'accentuer une tendance amorcée et mise au point dans les monastères du XIIe. Du XVe au XVIIIe siècle s'intensifia ainsi la "culture anthologique" qui consistait à recopier des passages de livres et parfois à les classer dans des carnets. "Cette pratique", écrit Darnton, "se répandit partout en Angleterre au début de l'ère moderne, chez les simples lecteurs, mais aussi chez les écrivains célèbres" (Robert Darnton, Apologie du livre, p. 25). Or elle est bien une manière d'interpréter le monde en extrayant, dans la masse des signes disponibles, ceux qui sont digne d'intérêt.
Ce que l'on appelle la "révolution numérique" s'inscrit dans ce long processus. "Percutant de plein fouet le lire, l'écrire et le publier", écrit Emmanuel Souchier dans "La Grande Aventure du livre, "la 'révolution numérique' entérine le passage du livre au texte, de l’œuvre achevée au fragment, de l'opus au fragmentum" ("Le livre numérique ou écrit de réseau?", in La Grande Aventure du livre, p. 36).

Marc Jahjah, Protée ou les mutations du livre.
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