Comme trier ses déchets ou pisser sous la douche donne l’impression de faire un geste pour la planète, lire le dernier bouquin d’un transfuge permet de s’engager à peu de frais, sans surtout rien remettre en cause. De soulager la dissonance des dominants.
Mon texte ressemble à une masterclass de donnage de leçons en pureté militante. Il n’en est rien. Ça serait culotté de ma part. Pas une seconde je me pense en dehors. Je traîne aussi ma dissonance et le statu quo. Ma propre action sur le monde consiste à considérer longuement une reconversion en menuiserie ou en maraîchage en permaculture jusqu’à l’épuisement de mes indemnités Pôle emploi, puis à constater que je ne suis pas prêt à faire le vœu de pauvreté qu’induisent malheureusement l’une ou l’autre reconversion, et enfin à retourner entourlouper des décideurs à cheveux de riches crantés ignares en informatique en échange d’émoluments conséquents jusqu’à, après un temps variable, lâcher mon poste et me retrouver à nouveau à l’étape 1. Mais je ne prétends pas autre chose.
La montée ou descente à Paris, selon la latitude du transfuge par essence provincial, sacre ses efforts. Il y intègre une grande école suite à la réussite d’un concours ou grâce à un dispositif d’accès parallèle (tremplin pour l’avenir, trampoline de la réussite, saut à l’élastique de l’égalité des chances). Mais à quel prix. Dans cette partie du récit, le décalage et la honte atteignent des niveaux stratosphériques tant ses petits camarades de l’ENS ou de Sciences Po sont issus d’un milieu social très favorisé (des bourgeois).
Déchiré entre deux mondes, l’étudiant galère à intégrer les codes de son nouveau milieu. Pire, comme frappé d’un syndrome de Stockholm social, il peine à se situer entre un camp armé d’un tison brûlant et un camp qui se fait farfouiller les entrailles avec ledit tison, fasciné par le premier mais redoutant de trahir le second.
Heureusement, le récit se finit bien. Le transfuge surmonte le mépris de classe de ses camarades. Il se fait même des amis avec qui il partage des centres d’intérêt populaire comme le Rap (celui de Kery James). Il décroche son diplôme et choisit un travail valorisé socialement, généralement enseignant, chercheur, journaliste, enseignant-chercheur, chercheur-journaliste, parfois enseignant-chercheur-journaliste. Seul le Martin Eden de Jack London, incapable de surmonter le dégoût que lui inspire le milieu auquel il voulait pourtant appartenir, a l’audace de choisir une autre voie et de se jeter à l’eau. Mais il s’agit d’une œuvre de fiction.