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Citations et extraits (69) Voir plus Ajouter une citation
5/
Là, dans la fumée qui se dissipe, encore une fois (E. Siciliano recourait déjà à cette
image, dans le texte de 1980 cité ci-dessus) on est en droit d’entrevoir le retrait crispé
de Pascoli – immense poète quasiment inconnu en français, sorte d’aède national en
marge de la vie publique –, les tours et détours absurdes, inutiles d’un Josef K.
(effectivement cité dans la suite du poème), la gesticulation médiatique de la fin du
XXème siècle, particulièrement indécente et destructrice en Italie, dans le désarroi
d’une jeunesse sans perspective. L’insolence aussi d’un peuple non résigné, en quête
d’innovations ou de bricolages dont l’Europe a souvent reconnu la pertinence, pour
le moins expérimentale (le fameux « laboratoire italien »), même dans des domaines
davantage quantifiables au plan matériel et social – certains diront : davantage à
prendre au sérieux – que celui qui nous occupe ici. Et l’échappatoire, sans aucun
doute, pour ne pas dire la fugue et la fuite « talons levés » : à savoir en prenant les
jambes à son cou, faute de mieux. Pour d’autres, la force têtue de l’inertie, qui est
aussi – Braudel nous l’a enseigné pour les temps longs – une forme de résistance.
Tout comme les langues et dialectes minorés, en face du tout-anglais mondialisant :
l’ennemi est archi-victorieux ?
mais le dernier mot n’est pas dit
et je m’en irai par le monde
avec mon petit caillou en poche
parce que la vitrine ne m’attire pas,
ni la boucherie où pendent boyaux et malecordes
(Jolanda Insana, Il martòrio,
Garzanti, 2002, explicit).
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MAIS TU SAIS QU’IL ÉTAIT LÀ ?...


Mais tu sais qu’il était là ?
Nous sommes nés ensemble, lui la porte à côté.
Si un jour je ne l’avais pas vu ?
Il aurait bien été quelque part.
Si l’endroit avait été d’autres visages
Avec leurs visages, avec leur mort ?
C’est fini. On reste là à regarder,
Les mots passent ainsi que les doigts.
Tu ne dois pas te lever tout seul.
Tant de pas, tant de regards, d’autres cieux.
Ta vie, aucun commentaire.


//Mario Benedetti
/traduction Jean-Charles Vegliante
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VA, C’EST POUR TOI QUE LA VILLE SE DRESSE CE SOIR
Ensemble en rang et cette attente
d'un visa valide pour le voyage
Tampon de tout cauchemar remède
Un désir on ne peut le toucher
Qu'est-ce que je connais du monde occidental
Dans cette maison je respire avec difficulté
Mon père n'est plus avec ma mère
c'est peut-être le moment de partir
Va, c'est pour toi que la ville se dresse ce soir
Tu n'as qu'un travail de boyesa
Ensemble vous avez poursuivi une chimère
Tu ne cherches pas parmi les hommes fortune
Trouver, au delà de l'âme, des trésors
Qu'est-ce que tu connais du monde occidental
Qui t'abritera dans la tempête
Les années s'amenuisent vite
Tu veux un mari à la manière ancienne
Va, c'est pour toi que se dresse la ville ce soir
Sur combien de mots comptait-il alors
Baruuko, baasto, bikeeri
Sa voix un peu distordue
Mariage et vœux sincères
Qu'est-ce qu'il connaît du monde occidental
D'un homme qui perd ses fonctions
C'est elle qui va lui acheter ses vêtements
Et demain commencera mieux qu'hier
Va, c'est pour toi que se dresse la ville ce soir


VAI, SORGE PER TE LA CITTA’ STASERA
Insieme in fila e quell’attesa
di un visto valido per il viaggio
Timbro di ogni incubo rimedio
Un desiderio non si può toccare
Che ne so del mondo occidentale
In questa casa respiro con fatica
Mio padre non è più con mia madre
è forse il momento di partire
Vai, sorge per te la città stasera
Non hai che un lavoro da boyesa
Assieme inseguiste una chimera
Non cerchi tra gli uomini fortuna
Trovare, oltre l’anima, tesori
Che ne sai del mondo occidentale
Chi ti riparerà nella bufera
Gli anni si affinano in fretta
Vuoi un marito vecchia maniera
Vai, sorge per te la città stasera
Su quante parole contava allora
Baruuko, baasto, bikeeri
La sua voce un poco distorta
Matrimonio e auguri sinceri
Che ne sa del mondo occidentale
Di un uomo che perde i suoi ruoli
Sarà lei a comprargli i vestiti
E domani inizierà meglio di ieri
Vai, sorge per te la città stasera
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8/
On le voit, en dépit de l’allusion appuyée au sarcasme baudelairien, ce
sont des formules qui exhibent un passé institutionnel quasiment inconnu en France, celui du plus noir Baroque (et de la Contre-réforme) passé par la mise en scène
théâtrale, ou d’opéra, avec une espèce d’adresse au lecteur que nous aurions tendance
à esquiver, par crainte d’un pathétique jugé peut-être trop naïvement fondé sur un
pacte de connivence entre la voix poétique et ses destinataires ; s’il faut, par
parenthèse, avoir des destinataires « frères » lecteurs, ce qui est loin d’aller de soi
aujourd’hui… Un ton de frondeuse provocation aussi, comme dans l’exemple traduit
plus haut, qui peut alors paraître « impur » au regard d’une bien comprise littérarité
sans faille ni spontanéité. Une circulation entre parlé, prosaïque-dialogique, et poésie
enfin, que nous avons un peu de mal à recevoir (et à traduire réellement, d’abord)
dans notre propre institution littéraire, en dépit du grand modèle de Queneau (de
Christian Prigent aujourd’hui ?). Mais les véritables correspondances, non sans
ouverture lyrique d’ailleurs, seraient plutôt en français dans les voix inégalées de
Bashung – dont le Comme un Légo (créé avec Manset) a un ton qu’on ose dire
léopardien – ou de H. F. Thiéfaine ; sans vouloir offenser revues chic et grands
éditeurs. Quoi qu’il en soit, avec le latin du méridional Michele Sovente, ces
difficultés se trouvent toutes comme concentrées et exacerbées jusqu’en un point
exquis :
Les ténèbres m’agrippent fort,
pour ma soif est l’auberge,
la faim toute ma voûte céleste,
les feuilles frémissent, siffle
dehors le dard-désir,
sur le pont court la poussière
hivernale – c’est la dérision
de la vie, qu’y faire ? –
mes os mordent le limon
d’Enfer…
(Neque nobis prodest, Cumae, 1998),
un point de souffrance presque indécente – mais la langue minorée le permet : ou, ici,
la langue morte. Langue morte de la poésie. Lorsque, encore, « strident / vagae alae
vagantes » dans l’air, « scille sìscano a luóngo / p’ ’i ssénghe » (Carbones, 2002), des
ailes s’étendent floues en crissements sifflants… d’un Érèbe à l’autre.
Rien qui ressemble, on s’en sera aperçu, à la prétendue vitalité joyeuse du
sud, un brin futile et sensuelle, dont nos exsangues littérateurs accablés de théorie
puissent se sentir régénérés de ce côté des Alpes, comme on l’a cru parfois. Et le sud
du sud – depuis Albino Pierro ou Assunta Finiguerra jusqu’à Domenico Brancale –
plus noir que jamais, ainsi que Sciascia, sur un autre plan relativement à la Sicile,
nous l’avait bien montré. Mais le grand isolé Lorenzo Calogero déjà, à sa manière
hallucinée : « la mort comme un long soir dans les yeux / t’est une sœur charnelle
toute proche » (Come in dittici, 1956)
***. Partout, la variété de ces Italies poétiques
est impressionnante, avec des « petites patries » non moins originales, puissantes et
désarmées – et aussi douloureuses – dans les provinces du nord ou du centre ou des
îles. Ou bien hors d’Italie (Cristina Alziati, Mia Lecomte, Alberto Nessi, Fabio
Pusterla), y compris avec quelques productions post-coloniales. Comme si, une fois
encore, le destin de ce pays multiple était confié à ses Lettres (et à ses langues), de
préférence à d’autres instances davantage centrales, normées, étatiques peut-être. Les
« quelques autres Italies », hors péninsule, mériteraient une fois encore (je l’avais tenté en 1982-85 avec ‘Les Langues Néo-Latines’) un traitement à part, étendu
désormais à un début de véritables italophonies indépendantes des frontières
nationales. Mais la variété ne doit pas mener au catalogue, au manuel ou au
dictionnaire. Aussi ne prétendons-nous pas dans ces quelques pages traduites en faire
le tour, ni même en donner un aperçu global qui serait en tout et pour tout
représentatif : plutôt, le choix proposé se voudrait cohérent avec un certain point de
vue, distancié et participant à la fois, tel que je l’ai esquissé au début, d’autant plus
prudent et sans doute provisoire qu’il n’hésite pas à affirmer ses préférences, au sein
de l’accueil fraternel le plus large possible. Choix des voix poétiques, choix du type
de traduction. Sans oublier quelques textes appartenant déjà au passé, mais à la
manière d’un futur antérieur, par certains aspects déjà ou encore en avance sur ce
que diffuse le plus souvent une communication (même pas de masse) grippée,
convenue et répétitive : c’est par eux, grâce à trois auteurs récemment disparus, que
nous allons commencer le voyage.
Jean-Charles Vegliante,
mars-avril 2014, octobre 2014
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62/
Italo Testa
Né en Émilie-Romagne il y a quarante-deux ans, Italo Testa a publié
Gli aspri inganni (Lietocolle 2004) et Biometrie (Manni 2005), ainsi que “Luce
d’ailanto” dans le dixième Cahier de Poésie Marcos y Marcos (en partie traduit par
CIRCE), et l’e-book Non ero io ; enfin La divisione della gioia, Transeuropa 2010 et I
camminatori (Valigie Rosse 2013). Il est essayiste et philosophe, traducteur, codirecteur de la revue « L’Ulisse ».

UN LIEU QUELCONQUE

ou sur les fauteuils au premier rang,
devant un rideau gris
tu suis en alarme la scène vide,
comme une tache noire dans un tableau
l’espace désert t’encadre :
c’était dans les escaliers, la marche
lustrée par les pas anonymes,
l’ombre oblique qui coupe le chambranle :
ou bien c’est quand sans prévenir
un déclenchement du verrou
surprend l’homme qui derrière la porte
torse nu lisse le drap,
quand la chaise appuyée contre le mur
a animé une ombre dans la pièce
et les vêtements inertes sur le plateau
ont lancé un éclair dans le noir :
ou était-ce quand tu remontais
jusqu’à notre premier appartement,
appuyant la main sur la rampe,
dès qu’un vent a bougé les rideaux
contre les lames du parquet
et tu as vu les fissures dans le broc,
tu t’es retournée contre le blanc
éclat du lin sur la paroi :
ou ma soif t’a-t-elle défaite,
le regard obscène que je jette au monde
sur les bras fermes d’une femme
en peignoir, au petit matin,
cette soif de son visage couvert,
du tissu fendu le long des fesses,
et chaque fois que les fortes épaules,
osseuses, telles un quadrant blanc
revenaient m’emprisonner
dans le temps du corps inconnu,
dans un intérieur dépouillé et muet :
ou ça a été dans une maison à deux étages
sur la croix de Saint-André,
pendant que moi aussi dans la marée
du désir je tombais vaincu,
haletant pour la première fois
pris entre les branches de son ailante,
ou quand du dedans nous tirions
les rideaux, téléphone éteint
pour entendre le train sur les rails,
sans un geste ou une pensée vraie,
si depuis lors le passage est barré
et que je ne puis revenir à ce que j’étais :
mais peut-être moi aussi un jour ai-je pensé
bientôt les voitures vont partir,
la maison sera pour nous barricadée
et moi sous un lampadaire hargneux
je feuilletterai d’autres pages, d’autres livres,
ou je marcherai le long d’un parc
et même la nuit ne pourra
me cacher, si tu regardes en bas
de tes fenêtres sur le banc,
ou si appuyée contre un dossier,
nue, à onze heures du matin
tu te toucheras furtivement, et sans
plus bien savoir qui nous avons été,
quand la lampe tombait à côté
de nous, et que le lit s’écartait
du mur, et que l’eau ne suffisait pas :
[…]
même comme ça on noie l’angoisse
dans la glace de marbre d’une table,
même quand la vie se replie
entre les volets, sur le plancher
vert, ou derrière la guillotine
qui sépare le temps de la pièce :
non plus ainsi ne sera rachetée
cette agitation, ce déplacement
exposé à chaque souffle de vent,
ou dans la lumière artificielle
d’un néon, croire que la nuit
n’est pas nuit, que le vert ne scintille pas
indemne de chaque regard nôtre,
que les marchandises exposées dans le silence
d’une vitrine sont le décor
de notre tranquille surplomb,
de la solide maîtrise de l’espèce :
et quand dans les enseignes lumineuses
qui rythment les grains de l’asphalte
tu as vu le signe certain, l’appel
répété par chacun de nos pas,
ou dans une vitrine, à contre-jour
tu as aperçu sur le plateau ses poses,
les os anguleux de son corps
te marquer sans plus aucun abri,
comme le jour qu’étendue sur le lit
tu t’es tournée, tranquille, et tu as vu
les grilles qui séparaient la vitre,
et te levant d’un coup tu as dit
que rien n’allait arriver,
que tout était encore intact
et pendant que je te regardais en silence
tu as disparu dans l’angle mort :
alors j’ai vu que rien ne cadre,
que la fragilité nous menace
de l’intérieur, dans les jointures,
s’insinue dans les veines, revêt
le pli opaque des discours,
alors, t’appelant à l’écart
sur le côté du lit j’aurais attendu,
la peau au contact du marbre froid,
que tout se soit remis en place,
le bras caché entre les jambes,
la lumière sur mes cuisses nues,
la main te couvrant le pubis :
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Une autre différence sensible entre nos deux langues-cultures, avec les
conséquences que cela entraîne pour leurs traditions littéraires respectives, réside, me
semble-t-il, dans la manière dont elles ont réagi à la fin des certitudes, des croyances,
des normes et des genres, après l’écroulement des ultimes structures héritées du
modernisme progressiste. Après la fin des utopies en somme (dissolution de l’URSS,
1991), des écoles esthétiques reconnues de tous et d’un consensus sociétal déjà
fragile (par exemple avec le relativisme généralisé du début du XXIème siècle). Dans
le cadre de cette nouvelle donne, le discours de la doxa remise à la page peut se
résumer – certes grossièrement – au credo laïc du « Je fais ce que je veux »
individuel, en deçà des limites des convenances bien sûr, voire d’un conformisme
soft désormais dominant. C’est du reste pourquoi la « fin de vie », euphémisme du
bien parler commun, paraît être devenue si encombrante, comme une véritable butée,
le vrai mur de la terre de notre temps (un titre de Caproni, 1975), et notre dernière
frontière. La mort de Dieu une fois digérée, depuis la deuxième moitié du XIXème
siècle pour le moins (mais Leopardi, à sa manière, l’avait déjà admise), nous avons
tenté de reconstruire plusieurs systèmes partiels, fragmentaires, non exclusifs les uns
des autres, tolérants si l’on préfère ; mais que faire de notre propre mort ? C’est la
dignité des plus hautes expressions culturelles humaines – la poésie en est une, sans
conteste – que de proposer au moins des bribes de réponse, voire des passages vers
de prochaines interrogations, en tout cas des échos à un tel questionnement « en
avant ». Or, les voies qu’empruntent depuis un bon siècle les institutions littéraires de
part et d’autre des Alpes sont là bien différentes entre elles, sinon divergentes. Pour
une majorité d’Italiens, citant encore Leopardi, « la poésie lyrique peut se dire la
cime, le comble, le sommet de la poésie, laquelle est le sommet du discours humain »
(Zibaldone 245, 18 sept. 1820). D’où l’effort contemporain pour se libérer de ces
sommets, de la vieille omniprésence du sujet lyrique et de son élégie, dans la seconde
moitié du siècle passé (disons, après Sereni), là où les Français regardaient ailleurs :
vigoureusement étrillés par le Surréalisme, la psychanalyse freudienne et les Avantgardes, ils ne se risquaient plus guère (déjà) sur ces terrains mouvants, au moins
depuis Daumal (« dans un vrai poème les mots portent leurs choses »). Si bien que la
nouveauté, au passage du millénaire, a pu être Du lyrisme, un essai de l’écrivain et
universitaire J.-Michel Maulpoix, sur les poètes « lyriques » du second après-guerre
(J. Corti, 2000) ici, comme un regret ou un retour ; alors que son homologue poète et
universitaire italien Enrico Testa publiait l’essai-anthologie Dopo la lirica (Après la
poésie lyrique) concernant les poètes transalpins de 1960 à 2000 (Einaudi, 2005). En
une prise de distance, un éloignement. On le voit, les chemins praticables se séparent,
les méthodes empruntées divergent assez nettement. Ce dernier ouvrage, qui a fait
date, parvient à se restreindre à une quarantaine de noms – sur 40 ans –, de Sereni à
Antonella Anedda, et articule cette sortie hors de la haute « tradition du XXème
siècle », pour reprendre une formule chère au critique Mengaldo, autour de la
prosaïque « catégorie du personnage » et de ses modalités d’apparition plutôt
narratives-théâtrales, par effacement du je lyrique précisément : une échappée dont
les points de force textuels seraient, au fil des ans, La ragazza Carla de Pagliarani
(1960), Satura de Montale (1971), Teàter de Loi (1978), Paesaggio con serpente de
Fortini (1984) et Quare tristis de Raboni (1998) ; j’aimerais y ajouter, plus près de
nous, le prosimètre Geologia di un padre de Magrelli (2013). La moitié exactement
de ces textes, devenus déjà fondateurs – dans le moyen terme en tout cas – pour les
plus jeunes, est disponible (ou le sera bientôt : Magrelli) en français. Par rapport à ce
qui peut ressembler à un nouveau canon littéraire, ce n’est pas si mal.
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7/
Le travail sur le langage, extrême dans les premières années de la période
qui nous occupe, ne rend pas aisés une réception et un transport dignes de ce nom,
même dans une langue réputée proche. Les textes les plus novateurs d’un poète tel
que Majorino, par ailleurs considéré plutôt « réaliste », en particulier ceux de
Provvisorio (1984), semblent ainsi à la limite de l’intraduisible. Mais on pourrait en
dire autant des Quatrains de Patrizia Valduga (1997), tant leur singulière littérarité
est inséparable du rapport, parfois citationnel, aux grands textes classiques de la
Modernité, comme ceux de Pascoli – lesquels justement ne sont pas disponibles en
français. L’expression dialectale, cela va de soi, pose aussi des problèmes de total
déséquilibre entre Italie et France ; même chose pour les formes anciennes, en partie
réinventées, de l’italien (Giudici, Rosselli, Scataglini), ou les hybridations avec la
vidéo, le rythme parlé d’autres langues, etc. (Mariangela Guàtteri, Rosselli encore,
Gian Maria Annovi)… Pour qui essaie d’observer de près ce qui se passe dans le
domaine italien, à tout le moins en poésie, il y a là une sorte de cercle vicieux, ou
d’aporie traductive, dont il est difficile de sortir en l’absence d’une ferme volonté
éditoriale sans parti-pris. Non sans risque, bien sûr. N’est-ce pas du reste, plus
généralement, le problème de la poésie et de sa – dirait-on – « visibilité », en tout cas
en France ? Ce qui n’est pas suffisamment exposé existe de moins en moins : d’où
l’idée reçue que la poésie ne se vend pas. Et pourtant, pour le domaine italien des
passerelles privilégiées fonctionnent parfois, dues à des liens particuliers, des
communautés de pensée, des collaborations et amitiés littéraires de plus longue
échéance. Une sorte de « communion laïque » effective, agissante et souvent
passionnée. L’exemple passé de Zanzotto, apprécié en tant que « lacanien » sur les
bords de Seine, a fait en cela école, si l’on peut dire. Ainsi, pour en rester aux deux
grands pans esquissés, du ton grave et du jeu ou ironie, E. De Signoribus (mais non
Benedetti), Magrelli (mais non M. Cucchi) sont relativement bien diffusés en France
aujourd’hui : versants visibles du grand massif italique caché, ou peut-être trop
discret (Enrico Testa, Fabio Pusterla, Gianni D’Elia). Les sonnets de Raboni ont
croisé heureusement les chemins de Jaccottet, comme autrefois Ungaretti avait
fraternisé avec Paulhan. Il est à craindre qu’ils cachent la forêt de tous les autres – et
ceux-là sont nombreux – dont les choix esthétiques présentent moins de points de
contact, sinon d’interfaces, avec ce qui intéresse ou préoccupe les Lettres françaises
de ce temps. Par exemple, les diverses expressions de résistance à l’usure du
quotidien médiatique : violentes, exhibées ou secrètes jusqu’à l’invention de langues
« séparées » improbables (Milo De Angelis, Cesare Viviani), ou encore refusant les
thématiques conventionnelles pour une plongée dérangeante dans l’indistinct de la
matière, de la corporéité, de l’informe, de l’inconnaissable – humain ou animal
(Laura Pugno) –, du disparu, de l’inanimé, du matériau urbain (Marco Giovenale,
Italo Testa, Andrea Inglese), de « l’erreur et vérité du désir » (Antonio Riccardi), des
existences marginales (Attilio Lolini, Florinda Fusco), de la décomposition
irregardable dans la maladie, l’agonie et l’après-mort (P. Valduga, Donna di dolori,
1991) :
Compatriotes, mes contemporains,
mes compagnons sans yeux et sans oreilles,
seaux après seaux de sang et sang par seaux
de vos minuscules ignobles cœurs.
Venez-vous, oui ou non, me déterrer ?
Dépêchez-vous, emmenez-moi au loin
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63/
UN LUOGO QUALUNQUE

o sulle poltrone in prima fila,
davanti a un sipario grigio
segui in allerta la scena vuota,
come una macchia nera in un quadro
lo spazio deserto ti incornicia:
è stato sulle scale, il gradino
lucidato dai passi anonimi,
l’ombra obliqua che taglia lo stipite:
oppure è quando senza preavviso
il chiavistello con uno scatto
scuote l’uomo che dietro la porta
a torso nudo liscia il lenzuolo,
quando la sedia accostata al muro
ha mosso un’ombra dentro la stanza
e i panni inerti sul ripiano
hanno mandato un lampo nel buio:
o è stato mentre risalivi
fino al nostro primo appartamento,
la mano appoggiata al corrimano,
appena il vento ha mosso le tende
contro le assi del pavimento
e hai visto le crepe nella brocca,
ti sei voltata contro il bianco
squarcio del lino sulla parete:
o è stata la mia sete a disfarti,
lo sguardo osceno che getto al mondo
sulle braccia sode di una donna
in vestaglia, di primo mattino,
con la brama del volto coperto,
del taglio aperto lungo le natiche,
e ogni volta che le spalle forti,
ossute, come un quadrante bianco
tornavano a imprigionarmi
nel tempo del corpo sconosciuto,
in un interno spoglio e taciuto:
o è stato in una casa a due piani
sopra la croce di Sant’Andrea,
mentre anch’io nella marea
del desiderio cadevo vinto,
ansimando per la prima volta
preso tra i rami del suo ailanto,
o quando da dentro chiudevamo
le tende, a telefono spento
per sentire sul binario il treno,
senza più un gesto o un pensiero vero,
se da allora il passaggio è precluso
e non posso tornare a ciò che ero:
ma forse anch’io un giorno ho pensato
presto le macchine partiranno,
la casa sarà per noi sbarrata
e io sotto un lampione astioso
sfoglierò altre pagine, altri libri
o camminerò lungo un parco
e nemmeno la notte potrà
nascondermi, se guarderai sotto
le tue finestre sulla panchina,
o se appoggiata a uno schienale,
nuda, alle undici di mattina
ti toccherai furtiva, e senza
più ben sapere chi siamo stati,
quando la lampada ci cadeva
a lato, e il letto si spostava
dal muro, e l’acqua non bastava:
[...]
anche così si annega l’ansia
nello specchio marmoreo di un tavolo,
anche quando la vita si piega
tra le imposte, sull’impiantito
verde, o dietro la ghigliottina
che separa il tempo dalla stanza:
nemmeno così sarà redento
questo agitarsi, questo andare
esposti a ogni buffo di vento,
o nella luce artificiale
di un neon credere che la notte
non sia notte, il verde non scintilli
immune da ogni nostro sguardo,
le merci esposte nel silenzio
di una vetrina siano lo sfondo
del nostro tranquillo sovrastare,
del dominio saldo della specie:
e quando nelle insegne luminose
che ritmano i grani dell’asfalto
hai visto il segno certo, il richiamo
ribattuto da ogni nostro passo,
o in una vetrina, controluce
hai scorto sul ripiano le pose,
le ossa spigolose del suo corpo
segnarti senza più un riparo,
come il giorno che stesa sul letto
ti sei girata, tranquilla, e hai visto
le grate che spartivano il vetro,
e alzandoti di scatto hai detto
che non sarebbe successo niente,
che tutto era ancora intatto
e mentre ti guardavo in silenzio
sei sparita nell’angolo cieco:
allora ho visto che nulla torna,
che la fragilità ci insidia
dall’interno, dentro le giunture,
s’insinua nelle vene, riveste
la piega opaca dei discorsi,
allora, chiamandoti in disparte
a fianco del letto avrei atteso,
la pelle a toccare il marmo freddo,
che tutto fosse tornato a posto,
il braccio nascosto tra le gambe,
la luce sulle mie cosce nude,
la mano a coprirti il pube:


de : La divisione della gioia, Transeuropa
2010
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3/
Cette modalité particulière d’une pensée complexe, justement, dont la
figure de Hölderlin est devenue emblème (le dichten au sens plein des philosophes
allemands), a continué d’animer la recherche d’une majorité de poètes italiens, une
fois passée la sidération qui suivit la période 1963-78 et sa critique radicale de tout
langage, en particulier poétique. Alors que l’expression de langue française – pour le
moins en France, voire à Paris – ne renonçait pas aux expériences d’avant-garde, peu
propices à la simple communication littéraire (et parfois, à l’inverse, terrorisantes),
on assistait en Italie à une floraison d’ouvrages d’une extrême variété, où cohabitent
textes engagés, réflexifs, d’évasion, ludiques, élégiaques, en langue (ou langues) et
dialectes, écriture traditionnelle ou multi-médiale, fiction, suspens et innovation
verbale, effusion lyrique, laconisme, élan narratif et travail sur le code linguistique,
éventuellement assisté par ordinateur. L’héritage du philosophe-poète par excellence,
Giacomo Leopardi, toutefois, ne se dément jamais tout à fait, et la pensée-en-poésie
reste un idéal commun de ces différentes orientations ; au nombre desquelles il ne
faudrait pas oublier d’ailleurs les quêtes solitaires originales, tout aussi variées
quoique cohérentes dans leur évolution, difficilement réductibles à une quelconque
catégorie figée, genre, génération ou chapelle. La forme, à l’occasion la forme close
(Held, Raboni, Sannelli, Patrizia Valduga), là où le vers demeure malgré tout, bien
reconnaissable à travers ses infinis avatars, est primordiale. Il y a donc, disons-le très
clairement, une croyance à la prégnance sociale de la poésie – à son rôle possible,
non décoratif, ailleurs que dans les livres (ou les salons) –, au même titre que
d’autres moyens d’échange du sens, entre des êtres parlant la même langue. Et, en
l’occurrence, des variantes parfois fort éloignées de cette même langue, en Suisse ou
aux Amériques, ou, encore une fois, parmi des italophones plus récents. L’atelier
linguistique, plurilinguistique parfois (Amelia Rosselli), ne va pas sans l’attention au
monde de référence et aux thèmes susceptibles d’une dimension transitive, d’un
échange avec qui n’écrit pas. Lorsque le texte « Combien de mots qui n’existent
plus » de Mario Benedetti est tourné en chanson par Giovanni Peli sous le titre
Accorgetevi (Rendez-vous compte)*
, c’est le caractère dialogique, allocutif, voire
injonctif du poème qui est projeté vers son public, sans abaissement du message poétique intégral (accorgetevi était bien au premier plan dans l’envoi ou finale du
texte : « Et je dis, rendez-vous compte, n’ayez pas juste 20 ans, / et une vie comme
toujours, qui me fait juste du mal »). Sans renoncement à sa littérarité. Sans futilité
décorative non plus. La poésie, ainsi, fût-elle parodique (Giovanni Giudici, le dernier
Pagliarani, Gabriele Frasca), a une présence et un certain poids opérant dans la vie
publique italienne ; l’un des principaux représentants de la Néo-avant-garde, Edoardo
Sanguineti, y avait acquis du reste une présence non négligeable jusqu’à sa
disparition en 2010.
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Il ne faudrait pas interpréter trop vite ce relatif retour à la gravitas du fait
littéraire comme une régression vers l’ordre, ni surtout une sorte de « restauration »
empreinte d’esprit de sérieux. Au contraire, si retour amont il y eut, ce fut sous le
signe de la distanciation ironique et du jeu verbal (mais non avant-gardiste), en
particulier avec le premier recueil de Valerio Magrelli en 1980, Ora serrata retinae
(Feltrinelli) ; que le romancier et critique Enzo Siciliano saluait comme « gage de
paix retrouvée », dans la « précise luminosité italienne » de toujours. Il citait ces
vers : « Je suis ce qui manque / du monde dans lequel je vis, / celui qu’entre tous / je
ne rencontrerai jamais ». La gravité dont il s’agissait est donc peut-être celle de
l’interrogation devant notre fragilité, la douleur, la maladie, la mort (le scandale de
devoir mourir), que seule la pensée-en-poésie permet d’affronter sans le recours du
religieux, en criant son [refus du] scandale ou en le démythifiant par l’humour (les
extrêmes de Benedetti et de Magrelli) ; le jeu fictionnel donc, rhétorique au meilleur
sens de ce terme décrié – et l’intelligence permettant que « de chair on devienne
signe » –, ou bien l’alarme de qui ose « voir nue la vie » pour nous léguer un peu de
sa lucidité ; et, entre les deux, ceux qui – légitimement – préfèrent éloigner cet effroi
et … parler d’autre chose. Par exemple, de leur roman familial (Maurizio Cucchi), de
la chose politique passée au filtre du langage (Sanguineti, le groupe 93, mais aussi
différemment Eugenio De Signoribus), du désastre écologique (Gianni D’Elia, Laura
Pugno) ; ou des blessures de l’adolescence, universelle expérience elle aussi (et autre
type encore de l’ancienne gravitas, ici anthropologique). Pour dire non malgré tout,
fût-ce quand :
Ne sert à rien
à rien ne sert juste la clôture
pour dire non, non, non !
à la souillure qui de partout nous presse
si à chaque non tu n’as un oui décent
pour en faire semis,
terrain de mémoire…
stop autrement !...
et entrer tête basse dans les clameurs
rester devant l’histoire comme un abêtiti.
(De Signoribus, Ronda dei
conversi, 2005),
ou bien à travers le presque-humain personnage aimé Pinocchio, poulain désarticulé
en fuite perpétuelle loin d’un mortifère quotidien, ridicule et touchant, romantique
éternel wanderer devenu mots et rythme lui aussi, bien sûr :
pinocchio le fugueur
à l’aube, en ce lever
clouteux de ses deux jambes
dans une odeur
électrique, juste un fil
de pré-humain
(le geste
de la fuite, l’heure)
par bonds de cabri, de poulain
osseux ou de lièvre feutré
fuites
dans la brume, fumées à s’enfuir
choses qui te poursuivent,
si tu les poursuis
elles fuient, attirées elles aussi
par l’utopique
image du balluchon, talons
levés,
loin
des trop nombreux
patrons, trop de
chasseurs
[…]

(Mariano Bàino, Pinocchio, moviole,
Lecce, Manni, 2000, incipit)**
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