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Lundi

Agathe se réveilla l’esprit déjà très occupé. Ses pensées étaient à l’hôpital et elle ne se sentait pas disponible pour son petit rituel quotidien, un temps de méditation personnelle. Non pas qu’elle fût particulièrement croyante, en tout cas pas au point de pratiquer une religion, elle essayait simplement de suivre une hygiène spirituelle. De temps en temps elle rendait visite à frère Pierre dans son monastère. Elle y faisait le point sur elle-même, ses relations professionnelles, avec la direction de l’hôpital, ses collègues, les patients. Ce moine connaissait le monde de la santé et savait l’accompagner dans les bonnes questions. Il ne l’assommait pas de réponses toutes faites ou moralisatrices, ni de bondieuseries.

Elle devait se battre au quotidien et elle tenait à entretenir sa liberté d’esprit.

Les jours à venir s’annonçaient bien chargés.

L’Agence Régionale de la Santé, avait émis un avis de pré-alerte sanitaire à propos d’une pathologie encore mal identifiée et, en tant que chef du service de médecine interne de l’hôpital central, elle devait rejoindre la cellule de surveillance. Évidemment cela représentait un certain nombre d’heures de travail supplémentaires dans son agenda déjà chargé. En plus de son service, elle suivait encore certains patients jusqu’en soins palliatifs.

Mais cette nouvelle énigme sanitaire excitait sa curiosité médicale et sa conscience professionnelle la poussait à s’investir, là où la médecine semblait en échec.

Néanmoins, l’annonce du décès d’Émeline allait assombrir la journée. Elle s’était attachée à cette jeune fille. Elle allait devoir rester concentrée. Que pourrait-elle dire à la famille ? Il ne fallait pas laisser planer le moindre doute sur la qualité des soins, les parents s’en saisiraient pour mettre en cause l’équipe. Agathe se savait sûre d’elle-même mais elle redoutait les attitudes soupçonneuses. Elle tenait à fournir un maximum d’explications aux patients et à leur famille, pour entretenir un climat de confiance. Malgré cela, certains d’entre eux, refusaient la réalité et se retournaient contre le corps médical. Bien qu’encore jeune docteur, elle supportait de moins en moins les attitudes agressives de ces personnes qui prétendaient tout savoir mieux que les autres. Pendant son externat, elle gardait le souvenir de cette femme indienne, médecin, dont le diplôme, non reconnu en France, lui permettait d’exercer comme infirmière. Un de ses patients était décédé et la famille, qui refusait l’évidence de l’usure due à l’âge, avait porté plainte contre elle. Cette dernière avait été tellement traumatisée par la haine de ces gens, qu’elle avait décidé d’arrêter tout projet d’exercer. Agathe avait ressenti une profonde colère. Cela n’était pas juste.

À peine venait-elle de s’installer dans son bureau avec l’infirmière cadre que la porte s’ouvrit.

– Docteur Heim, la famille est là. Ils sont dans la chambre, nous n’y arriverons pas seuls !

Le jeune interne demandait de l’aide. Dans la plupart des cas, l’équipe savait gérer les situations, mais le décès d’Émeline les affectait aussi, et ils pourraient se laisser déborder par leurs émotions.

– Merci Laurent, j’arrive. Qui est l’aumônier de garde ?

La cadre de soins se tourna vers Agathe.

– Carole Généré est là, je l’ai croisée ce matin. Nous pourrions l’appeler également, qu’en penses-tu ?

– Oui, fais-le, mais dis-lui de ne monter que dans un quart d’heure.

Le corps avait été transporté à la morgue. Agathe s’attendait à une demande d’autopsie, malgré toutes les analyses et les examens effectués depuis quinze jours, qui n’avaient rien révélé d’anormal. Un vrai casse-tête. Elle ne se rappelait pas avoir vu un cas semblable.

Elle entra dans la chambre, à peu près parée. D’un coup d’œil, elle repéra les postures : le père debout au pied du lit, dos au mur, la maman assise près de l’oreiller, fixant la peluche bordée dans le lit. Bizarrement elle ne s’en était pas emparée. Les affaires ramassées, la chambre vide, le silence régnait. Agathe referma la porte derrière elle en faisant cliqueter la poignée pour rompre une atmosphère pesante. La femme leva des yeux fatigués.

– Docteur, qu’est-ce qui est arrivé à ma fille ?

– Madame Arnade, je suis désolée, je vous présente mes condoléances. J’ai essayé tout ce qu’il était possible de faire pour comprendre…

Mais elle ne la laissa pas terminer.

– Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Dites-moi ce qui lui est arrivé !

– Malheureusement nous n’avons pas pu établir de diagnostic. Votre fille subissait un état de fatigue générale. Nous ne comprenons pas comment il a pu évoluer de cette manière-là. Aucun signe d’infection, d’attaque virale ou de bactérie, ne s’est manifesté. Aucun organe n’a montré de faiblesse.

Un dernier résultat devait arriver mais elle pensa qu’il valait mieux ne pas le mentionner. Inutile de rendre l’entretien plus compliqué.

– Mais on ne meurt pas comme ça ! D’un coup de fatigue !

Agathe choisit de se taire. Elle n’avait rien de censé à dire. Le mari intervint alors d’une voix apparemment calme, il laissait deviner sa violence contenue.

– Docteur, vous nous avez dit qu’elle devait se reposer, que son coma était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Qu’est-ce qui a changé ?

– Monsieur Arnade, rien n’a changé, votre fille était en état de choc, il fallait qu’elle se repose.

Silence. Il ne l’interrompit pas, il voulait qu’elle aille jusqu’au bout. Elle reprit :

– Nous l’avions constamment sous monitoring, aucun de ses paramètres vitaux n’a évolué. J’ai partagé le dossier de votre fille avec mes collègues, nous n’avons pas pu formuler de diagnostic, juste des hypothèses que nous n’arrivons pas à étayer. Cette nuit, elle a émergé de son coma, un bref instant, puis elle est décédée.

Elle sut qu’elle en avait peut-être trop dit, mais l’accent de la sincérité restait son point d’appui et il avait un prix.

La femme rugit en tapant violemment le rebord du lit, dopée par la colère.

– Comment ? Elle s’est réveillée et vous n’avez rien dit ? Nous ne sommes pas au courant ? Vous n’avez rien fait ?

Agathe ne pouvait pas la stopper.

– Quand cela s’est-il produit ? Je veux tout savoir ! C’est quand même incroyable qu’il faille qu’on arrive là, ce matin, pour apprendre que notre fille est décédée, qu’elle s’est réveillée cette nuit et qu’on n’a même pas pu lui parler !

La femme était excédée. L’homme restait stable, tendu.

– Madame, Monsieur, votre fille ne s’est pas vraiment réveillée, au sens de pouvoir lui parler. Les enregistrements montrent qu’elle est passée par une phase d’éveil très courte juste avant le décès.

Ses yeux projetaient de la haine, elle l’interrompit en éructant :

– Mais y avait-il quelqu’un à ses côtés quand elle s’est éveillée ?

Agathe haussa un peu la voix :

– La question n’est pas là ! Nous cherchons à comprendre comment sa détresse psychique a pu l’affecter à ce point. C’est pour cela qu’elle est venue à l’hôpital. Croyez-bien que je suis personnellement touchée par ce qui est arrivé à votre fille et, comme vous, je veux savoir ce qui a bien pu se passer.

– Foutaises ! Vous l’avez tuée en ne cherchant pas où il fallait. Notre fille allait très bien, à part une fatigue passagère. Mon mari a des relations. Nous allons demander une enquête. Vous êtes incompétente. Non seulement incompétente, mais vous baissez les bras ! Vous vous apitoyez sur le sort de vos patients au lieu de chercher ce qui est en train de les tuer. Vous êtes dangereuse, docteur Heim, et nous allons le faire savoir.

Agathe les regardait calmement, ne laissant pas entrevoir sa frustration. La femme, hors d’elle-même, n’avait manifestement pas l’habitude que ses questions restent sans réponse. Elle prit la peluche et sortit de la chambre.

– Chéri, viens, allons la voir.

Agathe s’attendit à une dernière tirade du mari, mais il lui emboîta le pas sans un mot. Le docteur leur ouvrit la porte en formulant un petit : « Au revoir Madame, Monsieur ». Ils sortirent sans un regard. De retour à son bureau, Agathe voulut se repasser le film des dernières journées mais il fallait d’abord appeler la personne de l’aumônerie qui pourrait apaiser le couple.

Agathe avait été intriguée par Émeline, une jeune fille intelligente et douce, plus résignée que triste, détachée. Elle avait très vite questionné les parents qui étaient dans le déni de son état psychique dégradé. La relation tendue avec leur fille n’était pas étrangère à son état. Leur premier contact avait démarré sur ce malentendu. Cela lui était déjà arrivé, rarement, mais suffisamment pour la laisser perplexe. Comment aurait-elle pu l’éviter ? Non pas qu’elle eût voulu ressentir de la sympathie pour eux, elle ne choisissait pas ses patients ni leur famille, mais cela faisait partie de son job. Les parents Arnade lui semblaient tout simplement inaccessibles, des personnes avec qui elle ne pourrait jamais établir une communication apaisée, comme s’ils ne parlaient pas de la même chose. Les mots avaient un sens différent entre eux et elle n’arrivait pas à trouver un langage commun.



Autre chose l’affectait profondément : perdre devant la maladie mortelle. Quand elle s’était préparée à la médecine, de grandes idées l’animaient sur le bien qu’elle allait pouvoir apporter dans ce monde dur. Elle déchanta. Ses capacités d’action s’avéraient limitées. Bien sûr il lui arrivait de poser le bon diagnostic, là où d’autres échouaient, mais, dans trop de cas, elle devait accepter son impuissance et limiter son action à soulager la souffrance, prolonger un peu la vie puis annoncer l’inévitable aux patients et aux familles. Elle le vivait comme un échec. Les succès n’effaçaient pas les échecs.

*

L’aumônerie était considérée comme un service de l’hôpital à part entière. Elle était composée de personnes rémunérées et de bénévoles, certaines payées par l’administration, d’autres, par leur groupe religieux. Leur mission éta
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Dimanche
Émeline venait d’ouvrir les yeux. Elle ne percevait rien.

Elle avait beau cligner des paupières, elle se découvrait entourée de ténèbres et pourtant bien consciente, vivante.

Sa respiration était lente, son corps au repos, l’esprit en éveil.

Pas une petite lueur, comme on en voit parfois derrière les yeux clos, pas même un bourdonnement léger aux oreilles.

Était-ce la première manifestation de ce qu’elle allait devoir vivre ?

Émeline avait déjà bien réalisé que la fin était proche. Ses parents, les Arnade, continueraient à gesticuler, ils n’avaient pas compris, ils ne pouvaient pas comprendre. Pourtant, elle leur avait donné le meilleur d’elle-même.

Elle n’avait pas eu la chance de connaître un garçon. Elle ne l’avait pas vraiment cherché. Ah quoi bon. Parmi tous ceux qui lui auraient plu, aucun ne l’avait vraiment écoutée. Au début, elle avait cru qu’elle n’intéresserait personne et elle n’allait pas se conformer aux autres simplement pour se sentir acceptée. Elle avait préféré passer inaperçue et cela lui avait fait mal. Mal de n’avoir pas su crier sa révolte dans ce monde trop agressif. Trop de colères rentrées qu’elle n’avait pas pu exprimer. Elle ne voulait blesser aucun de ses semblables. Puis elle avait rencontré de vrais amis, d’autres jeunes dans la peine. Leur détresse l’avait profondément touchée.

Elle était maintenant étonnamment tranquille, parée pour la suite tant redoutée par tous. Des souvenirs apaisants émergeaient de sa conscience intime : moments de profonde sérénité avec Carole, qu’elle aurait bien aimé connaître plus tôt ; temps de tendresse sincère avec Agathe, médecin pleine de vie et profondément désemparée de ne pas pouvoir faire plus pour elle. De même avec les infirmières du service, toutes avaient montré de l’attention. Les conversations, parfois longues, qu’elle avait eues avec l’une ou l’autre l’avaient réconfortée, même encouragée. Elle s’était trouvée moins seule.

Plusieurs sentiments montaient doucement, diffus, complexes : un mélange d’affliction, de n’avoir pas su apaiser la souffrance de ses quelques amis, mêlé à une étrange lucidité, le sens d’un devenir naissant, son destin. Elle était prête à l’accomplir, elle le souhaitait.

Le visage de la jeune Émeline affichait un beau sourire. Dans sa chambre le temps s’était dilaté à l’infini.

Quand l’infirmière se rendit compte du décès, elle appela immédiatement le médecin.

– Allô Docteur Heim ?

– Oui.

– Ici l’infirmière de garde.

– Camille ?

– Oui docteur. Je voulais vous prévenir qu’Émeline vient de partir.

– Je le redoutais… Merci d’avoir appelé.

– Je vous en prie docteur, à tout à l’heure.

– Dites-moi, son état était-il stable ?

– Je ne saurais vous dire, je n’ai pas encore regardé les enregistrements. J’ai voulu vous appeler tout de suite.

Agathe Heim connaissait son équipe, chaque personne par son prénom, même parmi les plus jeunes. Elle portait une attention spéciale aux nouveaux arrivants. Avec l’infirmière cadre, elles s’entendaient suffisamment bien pour instaurer de bonnes relations entre collègues. Le corps des soignants ressentait un certain attachement et de la fierté envers la chef de service. Même si certains jours étaient moins fastes que d’autres, elle essayait de ne pas être versatile, elle connaissait sa sensibilité au stress.


Camille savait que le docteur suivait Émeline de façon particulière et que la matinée s’annoncerait difficile. Il valait mieux que sa patronne soit prête. Non seulement la famille allait la harceler, mais encore l’administration.

Allez donc expliquer qu’une jeune patiente est décédée sans cause apparente !

Le reste de la nuit se déroula sans incident.
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