EN CUL DE GUÈPE
Ses longs cheveux pleuvaient sur ses épaules
Son visage, ah ! qu'il était lointain
(Miroir sans tain)
Et moi, fier matelot, le cœur lourd, jambes molles,
Dessous la nuit, je vais à pied !!
Cherchant l'un des deux pôles.
Ah ! tonnerre de Brest, je ne peux
Oublier
Son froid visage, mi-noyé dans ses cheveux.
SOIR DE MAI, DEUX ENFANTS
Telles des mains et qui bénissent
Ceux-là qui jurent de s'aimer
Sont les feuilles des marronniers
Dans le silence qui se lisse.
Et la chapelle du feuillage
A des vitraux d'or sans pareil.
Et l'on devine le passage
De l'ange, annonçant le sommeil
Où vont se parfaire nos rêves.
Les yeux sourient et sans savoir
— Divine trêve —
Qu'une larme se prépare pour l'au-revoir.
PASTORALE
Je suis un pin qui chante en tissant mon rêve
L'ombre savante de ses aiguilles ;
Alentour, un parfum de lavande se lève
Comme une présence de jeune fille.
Il est bien doux alors de se croire poète !
Les lourds frelons sur l'air sonnent du tambourin ;
Le vent s'amuse à compter l'herbe, brin par brin,
Et ma pensée, un long instant, reste distraite
Aux feuilles d'un laurier que le soleil répète
En spectre noir parmi les romarins.
Mais aujourd'hui, toute la gloire que j'assume
Est de donner mon nom
Au petit voilier blanc qui butine l'écume
Là-bas, entre la plage et l'horizon.
MATUTINALES
II
S'envole la buée,
Qui cachait le Pays.
Et voici la ruée
Des oiseaux réjouis,
Des chansons délurées,
Des parfums et des bruits
Qui monte à la curée
De l'azur d'aujourd'hui.
La voix exténuée
Des gueusards, des maudits,
Ah ! cette voix muée
En humaine huée
Qu'elle aille contre l'huis,
Tonner du paradis.
In reflets (1929)
MADRIGAL
Dans mes yeux j'ai tenu des paysages clairs
Comme un enfant porte des roses ;
Le vin des voluptés a parfumé ma chair
Et j'ai su de divines choses !
Pourtant, je voudrais bien, tout cela, l'oublier
Pour un regard de vous sincère
Et sentir à mon front comme un tendre laurier
Les doigts de votre main légère.
Votre rire emplirait le désert de mon cœur,
Je fermerais mes plus beaux livres.
Mais à qui donc rêvais-je et quelle est cette sœur
Dont les baisers me feraient vivre ?
SAINT-JEAN
Oui, les feux brûlent de l'Olympe à Vandœuvre !
Le ciel nocturne est une assiette à fleurs ;
Et valse la chouette et danse la couleuvre.
Et le soleil s'arrête, un instant interdit,
Au chant des éternels hâleurs
De la Volga, pour que l'oiseau chante à midi,
En ce seul jour sept fois béni…
Ah ! que ton dauphin, loin des leurres,
Dans son assiette quotidienne à fleurs,
Goûte les quatre-z-herbes de la Saint-Jean
« Thym, laurier, sauge et serpolet »
Sans peur des soucoupes volantes s'échangeant
Sur la prairie, à Tomblaine,
Entre Koki - Vodka, ces tristes tire-laine.
Hiver 1924.
Dehors il neige et vente ou pleut
Mais les chaisières font leur rumeur cathédrale,
Le silence, on dirait qu'il s'encense, qu'il râle
Autour de Dieu.
Je m'endormais dans le confessionnal de droite
Cependant que craquait le tiède bois des orgues ;
Et commença l'office - en la mineur Laforgue -
Des succubes et des souris. L'âme benoîte,
Je m'enfonçais dans le Seigneur,
Mais quelle heure était-il quand la lourde rafale
Du Dies irae vint dans ma chair animale
Faire sauter mon cœur ?
RITOURNELLE
Le ciel où jouent trois hirondelles
Est grand comme un espoir ;
On a permis sous la tonnelle
Au pauvre de s'asseoir.
La vie, au fond, est belle,
Au fond d'une bouteille, un soir !
Aussi, c'est pour lui qu'au lavoir
Chantent trois jouvencelles.
Et le bonhomme alors sourit
De voir, près de la meule,
Tourner la route et, dans la nuit,
S'en aller seule…
MOI, PRINCE DE LA RUE
Moi, prince de la rue,
Je marche sous la nuit,
Cependant que sans bruit
Le paon céleste mue.
Bien au chaud dans le mien
Je porte un cœur ancien.
Hélas ! encore l'aube !
De régner plus moyen.
Tournons avec le globe.
BRELAN D'AVRIL
À Hélène L.
Cette échelle oubliée au pommier rose et blanc,
Mais oui, j'y grimpe et d'un élan
Pour suspendre, à défaut d'un ange,
La tête bleue et chantante d'une mésange.
La douzième anisette étale les dockers,
Comme, du zénith, fait le soleil de la mer,
Où se prélassent, très mollement inclinés,
Tels chanoines après l'encens, les cheminées
Des navires dans l'amitié de l'air.
Et le cri des hirondelles jusqu'à la moelle
Déchire l'idylle de l'année ;
Puis, plus cruelles, les étoiles
Dans les yeux, de nouveau, sont nées.