Crever la faim n'est nulle part chose plaisante, mais c'est, je crois, vérité admise qu'il n'est pire endroit que Paris pour ce faire. L'existence y revêt de si joyeuses apparences, on s'y croirait si bien dans une immense guinguette, les immeubles y sont tellement beaux et si nombreux les théâtres, l'allure même des voitures y est si enlevée, que l'homme recru de tourment moral ou de souffrance physique y est constamment renvoyé à son triste sort. Il se fait l'effet d'être l'unique créature sérieuse dans un monde d'une épouvantable irréalité ; les quidams qui ressortent, volubiles, d'un café, la queue devant une salle de théâtre, les pleines voiturées du menu peuple qui se rend à ses frairies dominicales, les passantes en toilette voyante, les étalages des bijouteries, toutes ces visions familières se liguent pour moquer son abattement, son dénuement, sa déréliction.