Moi, je suis curieuse.
Il s'en trouve qui n'aiment point à avouer ces petites choses-là, mais, ça m'est bien égal. Je crois qu'il vaut encore mieux le reconnaître soi-même et courir la chance d'être poliment contredite, qu'attendre qu'on vienne vous en accuser, car, alors, ce n'est plus la même chose, ah ! non, plus la même chose du tout.
Toujours est-il que j'avais un. envie furieuse de voir de près cette petite guérisseuse de Ste-Cunégonde, dont les journaux ont tant parlé, et qui semble trouver tant de sympathie, chez nos bons Québecquois. Justement, je rencontre, il y a quelques jours, une mienne amie, que, pour rendre mon récit plus intelligible, nous nommerons Constance:
-Françoise, me dit-elle, veux-tu venir avec moi, chez l'enfant prodige de Ste-Cunégonde ? Je souffre depuis huit jours d'un vilain accès de dyspepsie, et j'aime encore mieux essayer la guérisseuse que la diète ; c'est ma seule alternative.
-Volontiers, ma chère, répondis-je magnanimement. L'amitié n'est pas un vain mot: en son nom je braverai les quolibets, les sarcasmes, les moqueries et t'accompagnerai jusqu'au bout dans ton pèlerinage.
A l'appel de la mère Madeloche, un pas lourd se fit entendre et celle qu'on appelait la Gothe descendit à reculons l'échelle du grenier. C'était une robuste gaillarde d'environ trente ans, à la mine grasse et réjouie. Elle s'avança en saluant gauchement, riant avec bonasserie aux questions amicales de Louise, chez qui elle avait été servante pendant plusieurs années.
-Vous êtes avec votre grand'mère maintenant, la Gothe ? C'est moins fatiguant que d'aller en service, je suppose?
-- Oh: j'vas m'engager encore, mais c'te foiscite, c'est à la longue année, reprit la Gothe, en découvrant une rangée de dents larges et épaisses.