Pourquoi n'ai-je pas encore fait l'ascension de l'Everest ? Comme si chacun se devait de faire cette escalade sur le plus haut sommet de la planète ! Encore une obsession de notre époque, pensai-je. [...]
Je changeai d'avis lorsque je découvris cette montagne pour la première fois, au printemps 1974, au milieu de sa fabuleuse cour formée par les autres sommets, depuis un angle très inhabituel, la "vallée secrète" du Barun. J'eus l'impression de voir une composition de cristaux gigantesques tendus vers le ciel, une constellation unique à la beauté impressionnante dominant la vallée obscure. Comme la crête de vagues gigantesques qui s'élèvent en pointes cristallines lorsqu'elles acquièrent toute leur ampleur au-dessus de l'océan, ainsi se dressaient les cimes himalayennes, immobiles, comme frappées de paralysie momentanée après l'énonciation d'une formule magique.
Le 10 mai 1996, le piège le plus célèbre de l'histoire de l'himalayisme se referma sur les alpinistes entre le sommet et le col sud de l'Everest. Ce jour-là, comme c'était souvent le cas lorsque le ciel se dégageait finalement, une longue file d'alpinistes se dirigea vers le "Toit du monde". L'un d'eux dut s'arrêter, mais vingt-quatre autres - plus quatre grimpeurs venant du Tibet - arpentèrent finalement le sommet enneigé et venteux. Les croisements entre ceux qui montaient et ceux qui descendaient sur la crête et sur le ressaut Hillary entraînaient des attentes et des retards. Soudain, un violent blizzard s'abattit sur la chaîne himalayenne. Déjà pénible dans de bonnes conditions, la descente de l'Everest se transforma alors en une fuite pour la survie. Certains se laissèrent mourir sur la crête, d'autres chutèrent sur le plateau du col sud où le vent empêchait de s'orienter, d'autres enfin, parvinrent jusqu'aux tentes au prix de terribles gelures. À la fin de cette journée, on dénombra neuf morts, qui s'ajoutaient au trois décès des jours précédents.