ANDALOUSIE
Cette terre a l’écorce de ses vieux sycomores,
La rudesse de ses pins, la douceur des lavandes,
Le parfum tourmenté des roseaux sur la lande,
Et dans son sang chrétien le fantôme des Mores.
Les oliviers crochus s’y tordent infiniment,
Cloués à des collines qui n’en finissent pas,
Et crucifiés d’ardeur sur leur brun Golgotha,
Ils languissent la pluie en verts tressaillements.
Quand le soir décadent incendie les remparts,
À l’heure où la montagne tourne fantomatique,
On peut voir indécise, sereine et famélique,
Quelque chèvre accrochée aux rochers du hasard.
Cette terre porte ses villes comme autant de diadèmes,
Cordoba la gitane et Séville la mauresque,
Et Granada la rouge et Cadiz l’arabesque,
Cette terre bâtit ses villes comme autant de poèmes.
Partout sont les mosquées et les blanches cathédrales,
Les minarets de fièvre et les clochers d’orgueil,
Les villages andalous assoupis sur le seuil,
Et la lourde torpeur de la mer orientale.
Ce pays est un rêve, un délire céramique,
Une harmonie bleutée de soleil et de mer,
Avec dans son âme le reproche doux-amer
D’une guitare flamenco sanglotant sa musique.
Le Damier 6, EDITIONS FRANCE EUROPE, 15/03/2004
PARIS, APRÈS…
Les ronces pousseront dans le métro désert,
Les sangliers boiront sous le pont de l’Alma
Et dans le parc Monceau grignoté par la mer,
Quelques cerfs improbables brameront leur effroi.
On aura de folles herbes jusqu’aux marchés d’Auteuil,
Les vipères siffleront près du Trocadéro,
Les tigres dormiront dans les rues d’Argenteuil
Et un troupeau de buffles y cherchera de l’eau.
Ce temps sera le temps des fourmis de retour,
Des araignées géantes et des scorpions fébriles,
Des taureaux assoupis à l’ombre de la Tour,
Des vendanges en Mai, des moissons en Avril.
Trois soleils brûleront la vieille capitale,
Ce temps sera celui d’un espoir chaviré,
La forêt mangera le forum des Halles,
Et les loups se battront sur les Champs Elysées.
/ Roger Bevand Le Damier 6 Editions France Europe
LES BÂTISSEURS DE CATHÉDRALE
Ils étaient des milliers venus de mille savoirs,
Hagards tailleurs de pierre et sculpteurs pathétiques,
Terrassiers de hasard, charpentiers faméliques,
Turbulents compagnons venus bâtir l’histoire.
S’étaient levés matin à l’appel cardinal,
Cheminant des provinces du vieux pays de France,
Ou de Gand la brumeuse ou de claire Florence,
Ils étaient les mains nues de l’art occidental.
Sous les ordres rugueux d’un vieux moine architecte,
Tour de Babel soudée par la foi catholique,
Ils besognèrent trois siècles en quatre-vingt dialectes,
Mais pour le plus grand nombre, de relève en relève,
La flèche terminale du grand vaisseau gothique,
Ne fut qu’une promesse, et même pas un rêve.
Le Damier 6, EDITIONS FRANCE EUROPE, 15/03/2004
Voilà des imbéciles que leur Christ supposé tout-puissant n'aura pas beaucoup aidés pendant leur supplice !