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Citation de Woland


[...] ... Entre autres gens de qualité qui grossissaient cette petite Cour, il y avait un gentilhomme de Bourgogne de la maison Duprat, appelé Jumeaux. Il n'était ni beau ni bien fait mais il était jeune, gai, brave et il avait bien de l'esprit : tout cela nous avait fait amis. Il était capitaine de cavalerie. Sa compagnie, qui était en Champagne en quartier d'hiver, l'avait attirée à Châlons aussi bien que moi et les mêmes raisons de plaisir l'y retenaient. Nous logions et nous couchions ensemble, et de là nous n'avions point de secrets l'un pour l'autre ; il sut que j'étais amoureux de mademoiselle de Romorantin aussitôt que je m'en aperçus, et parce que je voulus lui donner un emploi conforme au mien, de peur qu'il ne condamnât ma faiblesse, je le persuadai de s'attacher à une dame de la ville fort jolie. Pour moi, je m'étais sottement embarqué sans faire de réflexion et je ne reconnus les difficultés de mon entreprise que quand je presque en état de ne pouvoir prendre d'autre parti.

Mademoiselle de Romorantin avait vingt ans et je n'en avais pas dix-sept. J'avais l'esprit fort jeune et elle l'avait extrêmement fait pour son âge ; il ne laissait pas d'être enjoué. Elle aimait les discours un peu gaillards ; elle entendait tout, pourvu que les paroles fussent honnêtes. Elle était naturellement bonne et civile, mais sa mère, qui ne cessait de lui dire qu'elle était princesse, la contraignait si fort qu'elle en était bien moins aimable. Quelquefois, au plus fort d'une conversation où elle était dans son naturel, il lui venait en pensée que peut-être se familiarisait-elle trop et que cela pouvait faire tort à son rang. Et là-dessus, elle se redressait et prenait un sérieux qui la rendait incommode et qui troublait la joie de la compagnie. C'est le défaut que causent ordinairement ces chimères ; car d'un gentilhomme qui serait quelquefois agréable et divertissant, s'il ne voulait être que ce que Dieu l'a fait, elles font toujours un prince ridicule.

Mademoiselle de Romorantin était comme cela. Elle eût été adorable si elle n'eût voulu être que demoiselle mais sa vision des principautés la faisait haïr et ne lui attirait que des respects forcés, que la considération où était son beau-père dans la province arrachait à ceux qui avaient besoin de lui. Pour moi, cela ne me faisait point de peine, je lui rendais plus de devoirs comme à ma maîtresse qu'à une reine que je n'aurais point aimée.

Je l'appelais "mademoiselle" et elle m'appelait "mon cousin." Du reste, elle était assez bonne princesse pour moi et je pense qu'elle n'était pas fort éloignée de comprendre sur mon sujet que l'amour égalait tout le monde. Mais sa mère, qui savait par sa propre expérience ce que peut faire une fille qu'on ne garde pas soigneusement, ne la perdait point de vue. Cependant ma princesse qui en faisait assez pour m'empêcher de la quitter, n'en faisait pas assez pour que je fusse content. J'avais de quoi satisfaire la vanité d'un Gascon, et même quelque chose de plus, mais pas assez pour remplir les desseins d'un homme fort amoureux et qui va au solide. Pendant que j'étais aussi embarrassé qu'on le peut être, il se passa des choses qui me firent prendre une résolution. ... [...]
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