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Citation de Woland


[...] ... Henry de La Tour, vicomte de Turenne, était un homme entre deux tailles, large d'épaules, lesquelles il haussait de temps en temps en parlant : ce sont de ces mauvaises habitudes que l'on prend d'ordinaire faute de contenance assurée. Il avait les sourcils gros et assemblés, ce qui lui faisait une physionomie malheureuse. (En un mot, il n'avais point l'air d'un héros, quoi qu'il en eût l'âme.)

Il s'était trouvé en tant d'occasions à la guerre qu'avec un bon jugement qu'il avait et une application extraordinaire au métier, il s'était rendu le plus grand capitaine de son siècle.

A l'ouïr parler dans un conseil, il paraissait l'homme du monde le plus irrésolu ; cependant, quand il était pressé de prendre son parti, personne ne le prenait ni mieux ni plus vite.

Son véritable talent, qui est à mon avis le plus estimable à la guerre, était de bien soutenir une affaire en méchant état. Quand il était le plus faible en présence des ennemis, il n'y avait point de terrain d'où par un ruisseau, par une ravine, par un bois ou par quelque éminence, il ne sût tirer quelque avantage.

Jusqu'aux huit dernières années de sa vie, il avait été plus circonspect qu'entreprenant ; mais voyant que la témérité était à la mode, il ne se ménagea plus tant qu'il avait fait ; et, comme il prenait mieux ses mesures que les autres, il gagna autant de combats qu'il en donna.

Sa prudence venait de son tempérament et sa hardiesse de son expérience.

Il avait une grande étendue d'esprit, capable de gouverner un Etat aussi bien qu'une armée. Il n'était pas ignorant des belles-lettres ; il savait quelque chose des poètes latins et mille beaux endroits des poètes français ; il aimait assez les bons mots et s'y connaissait fort bien.

Il était modeste en habits et le paraissait même en expressions à ceux qui n'y faisaient pas assez d'attention ; mais il avait dans le coeur une vanité sans égale.

Il s'était fait des manières de parler toutes particulières pour satisfaire à cette passion. Quand il avait commencé un discours par : "je ne sais si j'oserais vous dire", il en disait des merveilles ; et parce que cela lui paraissait choquer la modestie qu'il affectait si fort, il disait, par exemple, en parlant de lui : "Je vous assure que quand on était jeune, on faisait fort bien cela." Il se traitait à la troisième personne afin de se pouvoir louer comme l'aurait fait quelque autre. Il parlait peu, il écrivait mal.

Jusqu'à quarante-cinq ans, il s'était contenté d'être gentilhomme, d'une ancienne maison. Véritablement il s'en lassa et voulut être prince. Dans les brouilleries de la Cour, en 1648, quatre ou cinq maisons de gentilshommes crurent que le temps était propre pour faire valoir leur chimère de principauté. Celle de La Tour en fut une. Mais leurs visions n'ayant pas été suivies d'un heureux succès, celle du maréchal de Turenne se réveilla en 1661. Le duc de Bouillon, son frère, étroitement uni dans le conseil avec le cardinal Mazarin, et lui, à la tête de la principale armée, se trouvaient en état d'obtenir un brevet de princes. Ce fut alors que le bâton de maréchal, que Monsieur de Turenne avait autrefois souhaité comme la borne de son ambition, lui parut au-dessous de sa naissance. Il en témoignait un si grand mépris qu'on l'appelait "Monsieur le Maréchal" quand on voulait lui dire une injure ; et cette ridicule vanité était fondée sur ce qu'il prétendait que ses prédécesseurs avaient été souverains de Boulogne et comtes d'Auvergne, et que la principauté de Sedan appartenait à sa maison par sa mère, toutes lesquelles prétentions étaient mal fondées. Cependant la considération où il était autorisait ces chimères ; mais ce rang ne fut pas d'abord tellement établi, qu'il ne le tînt dans des contraintes extraordinaires. Comme il n'osait encore laisser sortir sans les reconduire la plupart des gens de qualité qui lui rendaient visite, il leur escroquait cette civilité en faisant semblant d'avoir affaire dans son cabinet, à peu près dans le temps qu'il jugeait qu'ils voulaient s'en aller, et il n'en sortait que quand on lui disait qu'ils étaient partis. Son orgueil lui faisait prendre en gré toutes ses contraintes et il était esclave de sa grandeur. ... [...]
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