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Citation de PhilippeMaurice


Au fil des lettres, apparaît une rivalité entre le père [Rudyard Kipling] et le fils [John], qui n'est nullement le fait de ce dernier. Comme si Rudyard voulait être à la place de John, comme s'il lui enviait cette vie "à laquelle on prend goût" (lettre du 22 août). Le monstre sacré quinquagénaire ne ménage pas ses efforts pour garder l'ascendant sur l'officier de dix-huit ans. La tournée des positions à laquelle il se livre en tant que journaliste alors que John vient de prendre ses quartiers à quelques kilomètres de la ligne de front, les exploits automobiles qui en découlent, son récit enjoué des bons tours que se jouent les vieux généraux des camps adverses (lettre du 25 août), sa visite ratée à Joffre, ses coquetteries d’homme célèbre (« Tous semblent me connaître… »), ses conseils absurdes en matière de protection des tranchées (le grillage à lapins) que John balaye d’un revers de plume, comme il douche l’enthousiasme paternel devant la qualité des positions françaises (« On ne t’a laissé voir que des tranchées-témoin… »), son inconsciente fatuité (« Informe ton commandant de ce que je t’ai écrit ») sont autant d’indices d’un décalage pathétique, qui en dit long sur la cécité d’une génération qui a voulu et mené ce conflit. Kipling, comme nombre de ses contemporains, n’a pas vu qu’on n’était plus au temps des glorieuses charges de Lanciers, que cette guerre serait sale, massive, anonyme.

Ce qui, bien sûr, ne retire rien aux trésors d’humour et de tendresse qu’il déploie pour tenir haut le pavillon de son combattant. La plume du maître est toujours aussi vive à brosser un tableau piquant, à esquisser un portrait en peu de mots. En face, on sent naître la peur et l'affolement, cachés derrière des anecdotes brutales (la truie et le sac de rations) ou des requêtes de plus en plus pressantes et enfantines pour des produits domestiques, savon à barbe, pantoufles, chocolat.

Dans sa dernière lettre, datée du 25 septembre 1915, John annonce avec une fierté puérile que son bataillon va prendre part à l’offensive décisive qui doit mettre fin aux hostilités. Il s’agit de la bataille de Loos, qui durera quelques jours, ne changera rien au cours de la guerre et coûtera la vie à vingt mille soldats anglais. Le 27, la division de John monte au feu. Cinq jours plus tard, un télégramme du War Office arrive à Bateman’s. Le lieutenant John Kipling est porté disparu au combat. Son corps ne sera jamais retrouvé.

[Extrait de la postface de Jean-Luc Fromental]
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