Saïd Mohamed

Sur le lit des histoires, les tempêtes et la dérision
et partout l'opprobre à portée des bouches
voici venue l'heure de vivre à l'intérieur cette liberté
ni bourreau, ni victime.
( p 46)

Malheureusement nous avons cru
en leurs vertueuses paroles
inoffensifs jappements de chiots incertains pensions-nous
mais ils étaient déjà les petits de loups
essaimant dans les pensées la peur dominante
la peur, toujours la peur...la peur de l'inconnu...
la peur de demain... la peur du désordre humain...
de la tendre chair et de l'amour de l'autre
instillant leur venin jusque dans les caresses.
(....)
( p 67)

Cette étoile sur ton front d’où te vient-elle ?

Est-ce le fruit du hasard ou l’ombre de la lune
accouplée sur le rivage dans le remugle des marées,
des ports désertés de leurs bateaux ?

Cette étoile qui te vient ces soirs-là
indique-t-elle :
la direction du vent,
la voie du dedans ?
Je l’ai portée en ces journées
comme l’appréhension
d’un signe nouveau
qui mène au destin que nul ne sait.

Parvenue du hasard en sa démesure
couverte de tant de poussières
Cette étoile-là qu’un jour il faudra rejoindre
Réfugiés dans les bras de l’insomnie
viennent une promesse fertile
un dessin griffonné, un lieu sans mémoire

Dans la baie de Tanger
flottant au vent d’écume
et traversant le fleuve étroit avec les nuages
où te conduira ta bonne étoile.

Accompagnant ces trains
qui filent dans les ténèbres
passagers clandestins réfugiés sous leurs essieux
Exilés des Indes

Survivants des paterras
Hobos des Amériques,
Frères des infortunes
Corps sans nom, rejetés des flots
du ventre humide de la mer,
encore bercés du soleil de l’enfance »

Inventer une langue nouvelle : non une trahison impudique, des mots dessins d'ailes, roulements de boogies qui courent sur la ligne et ramènent en surface les images, visages sans muscles, les formes naissant à l'espoir, la lumière précise aiguisée, l'amertume des citrons confits.
Une langue d'odeurs et de couleurs qui prolongera les moments jaillis du big-bang d'avant la forme d'homme.
Questions ajoutées aux autres questions avec pour seule réponse le doute.
Une langue dont la trame ne soit un autre bâillon pour étouffer dans la course à la folie ordinaire.

Au plus profond de nous la noirceur s'insinue
devenir insensible au reste du monde
cela semble-t-il, doit être notre destin fragile.
( p 42)

Messages tracés ou mots prononcés donnent preuve de la résistance à la nuit et portent en eux la distinction.

Les mots glissent sur la feuille blanche parmi les orages où ils distinguent leur chemin dans toute cette confusion.

Sans cesse dans ses pas revenir pour laisser une trace, une signification.

Phrases sans importance, belles comme le silence dans un ciel si fade.

Les mots suivent leur propre instinct.

Chaque poème est une aventure renouvelée où conduit le cheval à bride lâchée.

La mémoire du sens est dans le son que le souffle prononce.

Sans point de repère faire sa route dans ces paysages d'imaginaires dont aucune carte n'a été dressée.

Parcourir le monde revient à prendre le départ et le confondre avec le retour.

Les voyages laissent un goût d'inachevé et d'amertume.

Mettre ses pas dans le monde ancien des mots pour ressentir l'humanité qui ne veut pas nous quitter.