Saleh Diab lu par l'une des traductrices Laurence Kucera, Voix Vives Sète 2013
J'appelle le romancier
Je prends le petit déjeuner seul
je n'utilise que ton bol jaune décoré
avec de fins motifs et de grandes oreilles
chaque soir, ta voix m'intercepte
elle prend ma main et me guide
vers ton coin habituel dans le salon
où je veille sur le toucher encore humide
de tes mains sur les livres et les cd
jusqu'à m'endormir
ils augmentent les loyers
les prix flambent
les prix deviennent fous
je prolonge le contrat de location
je m'acharne à rester
comme un soldat dans sa tranchée
je lis plusieurs fois ton roman aimé
je lis l'œuvre complète du romancier
j'appelle le romancier
nous discutons de ce personnage secondaire
qui t'a fascinée
Il devient mon ami
j'écoute et j'écoute
la chanson qui t'a touchée
t'a fait claquer des doigts qui t'a fait faire
des claquettes et danser le tango
j'apprends les claquettes
je prends des leçons de tango
je deviens danseur
j'adopte une chatte et un chat
ils ressemblent à ton chat et ta chatte
je me lève sur leurs miaulements
je m'endors sur leurs miaulements
le temps passe
le temps passe vite
et mes années filent
l'une après l'autre
comme ton vieux pull
un nouveau jour commence
ma main s'oublie longtemps sur la poignée
devant laquelle tu t'es penchée
en sortant et en entrant
je ne prends l'escalier
que pour rejoindre la rue
qui me chuchote ton nom
tout au long du trottoir
je fréquente les cafés où tu es passée
jusqu'à ce qu'ils occupent mes yeux
et je m'abandonne aux arbres
sous lesquels tu t'es arrêtée
jusqu'à ce qu'ils colonisent mes regards
je m'adapte à ce que tu ne sois pas là
j'allume des bougies devant ton absence
pour que ton visage reste
pur et doré
chaque matin
je cherche mes chaussettes
et les clés
je les perds à chaque moment.
je me dis que je n'ai rien oublié
ainsi éparpillé dissipé
en chaque lieu
et chaque temps de la semaine
transparent et fluide
je dévale dans ton vocabulaire
dans les sentiers que tu avais tracés dans la forêt
les variétés de fleurs
que tu avais fait sécher dans des livres
tes bagues égarées derrière la commode
ta marque préférée de stylo
ta salle de cinéma habituelle
la marque de champagne que tu avais apportée
pour fêter le retour sains et saufs des martinets
après leur traversée de l'Afrique et de la Méditerranée
la crique sauvage que tu avais découverte
en marchant seule dans l'île
tes questions renouvelées sur la météo
ton silence et ta colère
je me décompose
comme l'automne
j'approche furieusement
à grande vitesse
de la gloire