Sandrine Barbier Lombardy

Je n’étais pas pressée de retrouver cette maison dont les pierres, vieilles de deux cents cinquante ans, gardent la mémoire des âmes qui sont passées ici. Depuis toute petite, elles semblent m’en vouloir, provoquant chez moi ce que l’on appelle : une tétanie du sommeil. Des années que cela ne m’était pas arrivé. La dernière fois, ben justement, c’est dans cette même chambre de la bâtisse. Depuis que j’ai quitté le cocon familial, j’ai aussi dit adieu à tous ses esprits de la maison ! Et ces problèmes de sommeil ont disparu dès le jour où j’ai commencé à dormir ailleurs.
Malgré tout, je n’ai pas d’autres choix que de revenir. Si je suis ici, c’est pour le job. Il y a eu une disparition ces derniers jours dans le secteur. La disparition d’un enfant : le visage angevin de la petite Chloé fait toutes les unes des journaux, jusqu’à la presse nationale. La gamine n’a que quatre ans. Bon sang, j’espère qu’ils vont la retrouver. Mais je ne me fais pas d’illusion.

Elle m’a avoué que mon père était loin d’être un ange pendant sa jeunesse. Il organisait des parties fines avec ses proches amis où il faisait venir la petite fille de Marion, réputée sorcière et aguicheuse comme sa grand-mère. Ces parties fines se faisaient à la maison vigneronne, isolée du village. La jeune fille n’osait rien dire, car elle savait comment sa grand-mère avait fini ses jours. Papa l’obligeait à passer de bras en bras afin de récolter quelques francs. Alphonsine était soumise. Cette vision d’horreur me dégoûte au plus haut point.
Voilà comment papa a construit sa fortune !
« J’ai honte d’être de ton sang ! » C’est ainsi que j’ai dit à papa l’autre jour tout ce que j’avais sur le cœur lorsqu’il a voulu m’obliger à me fiancer avec un dandy de Riom. C’est Lucien et pas un autre que j’épouserai !

J’ai l’étrange sensation d’être de nouveau adolescente, mon cœur se met à battre la chamade, j’ai très envie qu’il me retienne. Mon vœu est exaucé, Olivier me tire doucement par la main et me fait pivoter face à lui.
— Attends ! me chuchote-t-il.
« Il vient de me tutoyer » me dis-je. Mes yeux brillent d’émotion, des battements d’ailes de papillons envahissent mon ventre, mes lèvres brûlent d’envie de l’embrasser. Plus grande que lui étant sur la première marche, j’ai la sensation de prendre le dessus.  Je pose mes deux mains sur ses joues et me lance. Je l’embrasse langoureusement. Il semble apprécier ce baiser puisqu’il m’enlace et me colle contre la rampe. Nos corps chauds en voudraient plus.

Une voix me dit d’entrer, une autre me dit : « ne rentre pas ». Depuis toute petite ce cauchemar est récurrent lui aussi. Enfant, je savais que je ne devais pas entrer dans cette maison car il s’agissait du refuge d’un monstre. Adulte maintenant, je pose la main sur la poignée, ma curiosité est trop forte, malgré quelques craintes, je prends mon courage à deux mains, je tente d’ouvrir la porte, mais une force mystérieuse m’aspire en arrière. Je sens un grand coup frapper dans mon dos. Je me réveille avec l’impression que ce coup vient de mon sommier. J’entends encore dans ma tête le bruit qu’a provoqué ce choc et je sens encore l’impact dans mon dos. Je regarde le radio-réveil : il est sept heures.

De gros yeux me regardent à travers les buissons. Ces regards ne sont pas ceux de monstres ou de loups, non, ces regards sont bien humains. Encore un cauchemar récurrent, un de ceux que je fais depuis toute petite. Les yeux sont menaçants, ils semblent me dire : « va-t’en, on ne veut pas de toi. ». L’instant d’après, je me retrouve sur un autre sentier, celui de Marcoin qui mène aux Sigadoux. J’arrive devant une maison isolée au bord du chemin. La maison semble vivante. Je la connais, elle est terrifiante.

Il n’y a pas âme qui vive dans ce village qui ne soit choquée par cette disparition. Et aucun d’entres eux ne peut expliquer ce qui a bien pu se passer. Personne n’a rien vue, ni entendu ! Trois jours déjà ! J’ai bien peur que cette petite ne soit jamais retrouvée vivante, ni même retrouvée tout court.

Cette fille est en robe de dessous dans l’eau, on lui voit presque tous ses attributs féminins alors qu’il y a deux messieurs juste à côté d’elle ! Sincèrement, elle a une attitude très provocante pour l’époque ! Elle m’a tout l’air d’une aguicheuse. Je n’ose imaginer d’où vient cette femme !

Florence fait partie de ces personnes du village que tout le monde connait. C’est une femme très discrète. En fait tout le monde l’estime mais les mégères du village ne savent rien de sa vie privée, à leur grand dam. Du coup elle est très respectée.

Les parents ont beau surveiller, il suffit de quelques minutes pour que le drame se produise. Non, dans cette histoire, je ne pense pas qu’il faille culpabiliser les parents. Ils sont anéantis, ils ont au contraire besoin de soutien.