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Critiques de Sara George (1)
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L'apiculteur et son élève

Un roman où l'intrigue n'est ficelée d'aucune manigance, par zéro complot, où ne figure ni violence, ni trahison et où il n'y a pas de scène de sexe, peut-il constituer une lecture intéressante ?



Imaginez que vous venez de lire « My absolute Darling »de Gabriel Tallent et que, dans la foulée, vous entreprenez la lecture de ce roman de Sara George inspiré de faits réels s'étant déroulés en Suisse au moment où en France gronde et fait couler beaucoup de sang la révolution de 1789... il y a de fortes chances que vous trouviez cela très reposant et sans doute fade par manque de situations conflictuelles...



Vous vous trompez !... Si incontestablement la lecture vous laissera serein(e) et ne vous fera pas faire de mauvais rêves, la quête scientifique de François Huber praticien genevois appartenant à la haute bourgeoisie, éminent chercheur devenu aveugle à 17 ans et de son domestique François Burnens, jeune paysan vaudois qui deviendra son secrétaire et co-chercheur, est un véritable chant épique nous transportant dans le monde mystérieux des abeilles.



Riche à fond de ruche, on bourdonne d'impatience à chaque question que soulève l'extraordinaire organisation de la ruche et les menées ponctuées d'incessants va-et-vient de sa grouillante population.



Maître et serviteur… « Quel est le plus grand : le serviteur ou le maître ? »... cette question énigmatique contenu dans le récit évangélique de Jean (13,16) qui pourrait aussi paraître banale voire pédante prend, ici, un autre sens, celui de la complémentarité.

En effet, le premier qui ordonne, ne voit plus et a besoin des yeux du second... tout au long de cette lecture instructive nous sommes accompagnés par cette fulgurance que l'auteure attribue à François Burnens : « Si la vue était mienne, la visions était sienne »

Ces deux François vont être liés par une indéfectible amitié faite d'un profond respect réciproque mais aussi d'une étonnante et constante curiosité qui les pousse à pénétrer le monde des abeilles pour en découvrir, non seulement les secrets mais aussi porter à la connaissance universelle les remarquables qualités et rôles bien orchestrés dans cette colonie d'insectes où l'individu œuvre sans cesse pour la collectivité jusqu'à sacrifier, sans aucune hésitation, sa propre existence, mais aussi celle de ses congénères mâles ou improductifs.

A partir d'archives et ouvrages existants sur cette fructueuse collaboration, rigoureusement consultés, l'auteure, Sara George, va élaborer une fiction épique constituée d'une suite de récits datés provenant de carnets fictifs écrits par François Burnens. Si, de ce fait, elle dépasse la réalité, elle ne l'entame nullement au niveau formellement historique, ne faisant que rendre cette dernière plus probante et surtout plus proche de ce que peut en ressentir puis retenir le lecteur lambda qui n'aurait jamais eu connaissance de cette singulière collaboration dans le domaine des recherches scientifiques s'intéressant à la vie des insectes.



Page 59...

8 juillet 1785

Monsieur m'a appris à distinguer les abeilles mâles des femelles. Les femelles sont plus petites, de couleur plus claire et bien plus nombreuses que les mâles à sortir de la ruche. Au début, j'avais du mal à les distinguer, sans vouloir l'admettre ; mais il m'a dit qu'il fallait savoir reconnaître ses insuffisances et observer avec plus d'attention. Maintenant, je les reconnais presque au premier coup d’œil. Je les attrape quand elles prennent leur envol, je les retourne sur le dos et je les sens gigoter ; parfois elles me piquent, ce qui est fort douloureux. Après un rapide examen, je les répartis en deux groupes : petites femelles et gros mâles. J'invite alors Madame à venir vérifier mon classement. Elle s'approche avec majesté, lourde de son enfant, observe les deux groupes avec soin et me dit : « C'est très bien. » – avant de s'éloigner doucement. Il m'est désagréable, je ne sais pourquoi, d'avoir à faire ainsi contrôler mon travail. Après tout, elle a assisté Monsieur pendant des années, et son savoir est considérable. Je crains peut-être de ne pouvoir rien accomplir pour lui qui soit indépendant de leur intimité. Mon désir de servir et d'apprendre, restera inutile peut-être, faute de s'aventurer au-delà des limites qu'ils se sont fixées entre eux ; j'ajoute : d'amoureuses limites.



Nous avons là, en condensé, dans ce passage, toute la merveilleuse ambiance qui accompagne ce long chemin d'apprentissage et de découvertes où les questions pratiques et d’investigation d'ordre physique et biologique ont souvent en échos celles plus intimes d'ordre éthique. Sans aller jusqu'à la suspicion, savoir porter un regard objectif dépourvu de doute ou d’ambiguïté sur ses perceptions autant que sur son ressenti émotionnel. Il naît là toute une finesse comportementale faite de sensibilité maîtrisée dans la façon d'être soi-même et aux autres pour apprécier toute l'étendue bienfaisante du donner et du recevoir.



Contemplation – Observation – Révélation.

Constituent les étapes incontournables de ce « chemin » …

Tout commence avec la contemplation née de l'admiration de l'étonnement, une attitude apparemment passive mais qui participe à l'éveil puis à l'intérêt pour le sujet de cette contemplation . C'est alors que touché dans l'âme, on a envie d'en savoir plus et c'est ainsi que l'on accompli le pas suivant celui qui mène à l'observation. Là vient le questionnement aux multiples interrogations : Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Où ? Quand ? Dans quel but ? Puis ensuite, quel rapport existe entre ce que j'observe et étudie et moi ? Qu'est-ce que je cherche à savoir en fin de compte ?... les réponses ne viennent jamais tout de suite, il faut parfois beaucoup de temps pour obtenir ne serait-ce qu'une bribe de révélation, un pan levé de voile opaque levé sur un rite mystérieux, un comportement anormal. Là est le chemin... douloureux au sens physique mais aussi psychologiquement. Avec les abeilles nous sommes à l'école de la patience, parfois au prix de sacrifices de vie qui affectent alors profondément l'apiculteur. Il y a des rires, il y a des pleurs, des tourments et de grands moments de sérénité et au bout de sa quête la joie de tenir au-delà de l'évidence, une vérité avérée jusqu'alors cachée, enfouie dans le mystère.

C'est alors que progressivement pour aller plus loin dans ses recherches, on affûte son ingéniosité ce dont ne manque pas François Burnens

Page 133 - 134...

1er août 1788

La question du moment : les ouvrières (qui sont des femelles, après tout) peuvent-elles pondre des œufs ? Si la question se pose, c'est que l'on trouve parfois des œufs dans des ruches que l'on sait assurément dépourvues de reines. ... … Nous ne saurions affirmer que les ouvrières pondent des œufs sans avoir effectivement assisté à la ponte. C'est pourquoi j'observe les ruches chaque jour depuis un mois ; je n'ai pas assisté à une ponte d'ouvrière, mais cet acte peut aisément passer inaperçu dans la masse de la ruche. … … Pendant que M. Hubert médite sur ces questions, je réfléchis de mon côté au seul moyen d'acquérir une certitude en la matière : utiliser une ruche où il n'y a aucune reine, et cela de façon indubitable ; c'est à dire qu'il faudra observer les abeilles une par une avant de les y faire rentrer … … il faudra donc agir sans les immobiliser. En d'autres termes , il faudra s’attendre à quantité de piqûres. D’autant que, pour obtenir des résultats fiables, il n'est pas question de s'en tenir à une seule ruche, il en faudra bien deux. A raison d'environ cinquante mille abeilles par ruche... cela fait beaucoup. Mais comment procéder autrement ? L'expérience sera douloureuse , mais du moins son résultat sera sûr. Facile à dire quand on est loin des ruches !

Ceci est un parfait exemple des méthodes d'observation qui seront élaborés questionnement après questionnement à partir de toutes les inconnues du monde des abeilles. De l'essaimage à la constitution d'une ruche en passant par la fécondation de la reine, l'agencement des alvéoles, le rôle des ouvrières et le massacre des mâles ou faux bourdons par ces dernières. Chaque opération exige, en même temps qu'un suivi régulier, la mise en place de dispositifs adaptés pour assurer une bonne observation de la colonie et des individus.



Quand chacun occupe sa place …

Il est remarquable d'observer tout au cours de cette lecture l’excellente entente et la complicité entre le maître et son « valet » au moment où, non loin, en France, se déroule la Révolution qui a balayé dans un bain de sang, l'ancien régime pour instaurer la République. Parallèlement il se passe quelque chose d'important sur le plan social. Entre ces deux François chacun occupe admirablement sa place. Cela se fait naturellement et harmonieusement parce que c'est le respect qui anime l'un et l'autre et cela s'étend à toute la famille. De la considération pour ce que chacun fait et a à faire. Voilà ce qui nous étonne et suscite l'admiration dans ce contexte bien particulier.

Là-bas, un peuple accède à plus de liberté dans la douleur extrême, et ici, des humains, de rangs hiérarchiquement différents, se plaisent à collaborer pour, avec l'estime et la confiance réciproque, faire progresser la connaissance dans un esprit de loyauté scientifique.

Il faut parfois y aller de quelques sacrifices comme au cours de cette dernière expérience commune qui mettra en évidence le rôle des abeilles ventileuses dans la ruche.



Ce roman bien construit, bien écrit, magnifie ce qui fut avéré de cette formidable et très humaine collaboration. Une lecture qui met de sacrés coups d'aiguillons dans la sphère de notre curiosité pour connaître, d'une façon bien plus approfondie et sentie, l'univers des abeilles auquel les hommes vouent beaucoup de leur temps et de leur amour. Un ouvrage à découvrir dard dard... dont vous ressortirez bien plus enchantés que boursouflés...


Lien : http://www.mirebalais.net/20..
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