Sarah Dheilm

Je n’aurais jamais cru qu’une suite pouvait accueillir autant de monde. On est bien loin de la soirée d’hier : l’alcool coule à flots, la musique résonne au point que les basses font vibrer les murs. C’est dix fois plus bruyant que ce soir pas si lointain où j’ai fait la connaissance du groupe et tout vu de l’anatomie de l’un d’entre eux.
Dois-je parler de toutes ces filles qui ondulent des fesses çà et là, moulées dans leurs robes dont la longueur tient plus de celle d’une ceinture ? Absolument pas. Est-ce que je fais tache dans ce pull qui m’arrive à la moitié des cuisses – mes bottes se chargeant de couvrir le reste de mon slim – comparée à ces femmes ? Bien sûr que oui. Est-ce que j’ai envie de tout casser au moment où, en faisant quelques pas de plus, je découvre Davon installé dans un grand canapé en train de fourrer sa langue dans la bouche d’une grognasse, en me regardant droit dans les yeux juste après ? Assurément.
Je lui ôte peut-être les mots de la bouche, mais, elle, elle semble avoir pris le parti de lui piquer ses amygdales.
– Un verre ? me demande Mika tout en faisant un petit signe à Rick afin de lui faire comprendre de ne pas compter sur elle pour le moment.
– Non. Enfin, oui, mais je vais me débrouiller. Va voir Rick, tu m’as assez chouchoutée pour la soirée, Mika, merci. Je vais faire acte de présence dix minutes et puis j’irai me coucher.
Si tant est que la musique me permette de trouver le sommeil, bien entendu. Quoique, à mon avis, ce ne sera pas la principale raison de mon insomnie. Non, ce sera certainement ce moment qui risque de rester gravé dans mes rétines pour un temps indéterminé. Celui où je vois Davon quitter la bouche de la fille pour aller retrouver celle de la nana qui vient à l’instant de s’installer sur ses genoux. Grandiose !
Dans d’autres circonstances, j’aurais battu en retraite. Mais ce que m’a fait comprendre Mika m’a reboostée. Ses conseils et la colère font de moi une femme toute neuve, qui renverse malencontreusement son verre sur Davon et sa nouvelle O.R.L.
– Oups. Désolée.
Ma carrière d’actrice s’arrêtera donc là, parce que personne ne croirait une seconde que je regrette vraiment ma « maladresse ».
Davon réagit à peine. C’est pourtant lui que j’ai véritablement visé – pardon, je voulais dire que le contenu de mon verre de rhum, puisque c’était ça ou du whisky, a choisi malgré moi de se déverser accidentellement droit en direction du cou du chanteur pas sexy du tout dans sa chemise noire. Le décolleté de la demoiselle a fait les frais des quelques éclaboussures qui s’ensuivirent, rien de bien méchant, pourtant elle se lève en me hurlant dessus. Elle ne semble pas vraiment contente, mais à part de multiples « fuck  » à toutes les sauces, j’avoue que mon anglais ne m’a pas permis de comprendre la teneur exacte de ses insultes. La faute à Mme Garet, ma prof d’anglais en seconde, qui avait refusé qu’on apprenne les gros mots de la langue, persuadée que ça ne nous serait d’aucune utilité. Eh bien, détrompe-toi, ma chère, parce que pour la première fois depuis que je suis arrivée ici, je ne comprends pas un traître mot de ce qu’on me dit. Je joue donc l’idiote jusqu’au bout en lui répondant en français :
– Je suis vraiment désolée d’avoir aussi mal visé, j’aurais dû balancer directement mon verre dans ta face de cul.
Oui, je sais, c’est pas joli, joli, de profiter des problèmes de traduction, mais c’était trop tentant et je n’ai pas pu résister.