Sherman Sezibera

Nous commettons tous l’erreur de croire qu’il suffit de parler la même langue pour nous comprendre. Reprenons cet exemple de gens qui parlent la même langue lors de débats où chacun essaie d’avoir raison sur l’autre. L’incompréhension peut résulter de diverses choses comme les expressions, les gestes, le groupe d’appartenance, la différence culturelle, et j’en passe. La langue est certainement une aide, mais elle reste insuffisante pour rejoindre l’esprit de l’humain. Nous pourrions ainsi dire que même ceux qui parlent la même langue ne parlent pas le même langage.
Ceux d’entre vous qui savent communiquer avec les animaux comprennent mieux que quiconque les autistes. Parfois, l’humain emploie péjorativement le terme «animal» pour montrer sa supériorité. Or, si vous êtes proche des animaux ou si vous en avez un, vous êtes témoins de leur intelligence, voire de leur génie. Quand on n’en a jamais côtoyé ni possédé, on en a peur et on les traite de «bêtes». Or, les animaux sont comme les autistes: ils ressentent tout. S’ils remarquent que vous avez peur d’eux, c’est à ce moment qu’ils commencent à vous attaquer. Un animal a besoin de sentir que vous êtes en confiance et que vous n’êtes pas un intrus. Par exemple, si vous avez un chien et que vous l’aimez, si vous avez confiance en vous et en lui, il croira aussi en vous et il sera même prêt à marcher sur le feu pour vous protéger… ou même pour vous faire plaisir. La plupart du temps, quand un chien fait ce que vous lui demandez, ce n’est pas qu’il le veut nécessairement; le plus souvent, c’est pour vous plaire. C’est pour ça qu’il est votre meilleur ami.

Étant donné ma différence, je m’intéresse à la vie des gens qui ont une perception différente de celle de la majorité. Prenons l’exemple de l’aveugle ou du sourd. Il y a des gens qui n’ont jamais vu, ou qui ne verront jamais le monde comme vous le voyez. Ils n’ont jamais vu l’éclosion des fleurs au printemps ni la tombée des feuilles aux couleurs d’automne. Ils ignorent tout du crépuscule, du bleu de la mer, et du ciel… Ils n’ont jamais vu les étoiles. Ils ne peuvent pas admirer le vol de l’aigle, l’ingéniosité de l’oiseau pêcheur, l’intelligence des fourmis, ni le charme d’un guépard en plein saut. Le matin, quand ils se lèvent, ils n’ont pas cette chance de contempler les rayons de soleil qui traversent la fenêtre, marquant le mur de rayures d’ombre. Et, comme un enfant normal le ferait, ils n’approcheront jamais leurs mains des rayons pour essayer d’attraper la poussière qui danse. D’autres encore n’entendront jamais les paroles murmurées de leur amant ni les premiers mots de leur enfant

Être autiste, ce n’est pas bizarre. C’est juste différent. C’est même plus grand que la différence. C’est un don de Dieu à l’état brut. Les autistes sont de grands artistes, de grands créateurs. Leur relation au divin est plus intense. Aujourd’hui, j’ai lu un ouvrage intitulé Ma vie d’autiste, de l’Américaine Temple Grandin. Peut-être la connaissez-vous? Je ne vante pas ses mérites, mais plutôt sa vision. Cette femme a su voir loin. Après avoir lu son livre, certains de ses articles et suivi ses conférences, j’ai enfin compris son secret. Temple Grandin n’a jamais souhaité être «normale». Elle n’a jamais désiré devenir quelqu’un d’autre. Bien sûr, tout au long de son enfance, puis de sa vie d’adulte, elle a subi tous les préjugés envers les autistes.

Je ne veux pas gaspiller l’encre de mon stylo pour écrire «indépendance». Un mot pour lequel presque toutes les nations versent le sang. Dans mon cas, c’est le combat d’un esprit enchaîné par l’obsession de ma quête. On dirait que c’est un mot inventé par la mort pour me donner l’illusion de la liberté pendant qu’il me tue à petit feu. À chaque pas que je fais, je trébuche contre le mur de la confusion. Je deviens une feuille dans le vent, flottant vers une destination aléatoire. Bon, je vous ai assez fait attendre. Je vais vous écrire un mot. Seulement un. Je vais le faire avec maladresse, mais je vais le faire. FAN… Ah non! Il n’y a plus d’encre. Elle a séché. Comme mon sang.

Il faut respecter la nature de chaque chose. Laissez la chance au chat de rester un chat, au chien de rester un chien, à l’autiste de demeurer un autiste. C’est insensé de s’attendre à ce qu’un chien se comporte comme un humain, et dans la même perspective, qu’un autiste se comporte comme vous. Chaque chose – être – possède sa propre étoffe, sa propre composition. La meilleure aide que vous pourriez apporter à quelqu’un comme moi est d’abord de comprendre que je vis dans mon propre monde. Celui qui a la patience d’étudier ce monde, de le comprendre sous un angle objectif, a déjà fait le premier pas dans mon univers, dans l’univers des autistes.

Aujourd’hui, j’ai trente ans, et je suis toujours perdue dans les pourquoi. Pourquoi suis-je comme je suis? Quel est le but de tout cela? Pourquoi j’avance de ce pas vacillant vers le monde, pourquoi le monde s’avance-t-il vers moi de ce pas chancelant? Pourquoi dois-je porter cette responsabilité dont je ne connais même pas la cause, comme s’il s’agissait d’un vêtement? Nous, les aspies, c’est-à-dire ces personnes atteintes du syndrome d’Asperger (SA), un autisme de haut niveau, sommes souvent naïves et inoffensives. Or le monde est, disons, diplomatique. Il est rempli de raisons et de règles que nous sommes incapables de suivre.

Les mots ont un pouvoir. Ils sont même prêts à se dissimuler dans les gazouillis d’un bébé pour ne pas blesser le père et la mère. De toutes les manières, pourquoi parler quand les actions ne suivent pas le geste? J’ai tout mon temps pour observer le monde. Je remarque qu’il y a trop d’écrivains, trop d’humanistes et trop de philosophes. Chacun d’eux a foulé cette Terre avec la meilleure intention dans son cœur: changer le monde. Pourtant, bien que nos livres d’Histoire soient remplis de héros, je constate que la guerre perdure. On ne voit pas encore la fin de l’hostilité humaine. La conséquence des mots. Je ne critique personne.

J'ai beaucoup de talents, mais besoin d’un environnement social pour les développer. Ai-je le choix? Pouvez-vous imaginer l’effort mental que cela peut demander pour danser entre deux gouttes de pluie? Quand je laisse la pluie tomber sur moi, les problèmes commencent. Je suis comme une rose qui aurait pris vie sur un roc solitaire dans un milieu aride. Je ressemble à cette fleur aux mille et une couleurs qui aurait poussé sans trop être arrosée. Pour rester fraîche, je dois chaque fois me vider de mon essence et créer une pluie artificielle.

Pour moi, l’autisme n’est pas seulement un diagnostic. C’est une description brève d’un long puzzle de la vie. Mais qu’est-ce que l’autisme pour vous? Savez-vous ce que c’est? Vraiment? Mes parents, mes frères, mon médecin, mes enseignants, mes amis… Et vous… Combien savent quelque chose à propos de ce sujet? Peu. Beaucoup d’information et de nombreux mythes entourent cette condition. Certaines personnes pensent qu’il s’agit de gens qui ne parlent pas, et qui éprouvent de la difficulté à s’intégrer dans le monde.

C’est dans sa nature de définir les choses, de mesurer, de classer et de nommer. Je suis une métaphore de la vie car dans la nature, la spontanéité prévaut. Dans mon monde, il n’y a ni calcul ni mesure. Mais j’aime la routine, car elle est utilisée comme un paramètre qui me permet de fonctionner en société. C’est une lutte quotidienne de vivre entre les règles qui me permettent de survivre et la spontanéité qui me ramène à mon naturel.