Que la folie soit devenue, aujourd'hui, une communauté de lieu discursif n'est pas un de ses moindres paradoxes. Car la folie marque, en général, un lieu d'exclusion, le dehors d'une culture. Or, une folie qui est lieu commun marque tout au contraire un lieu d'inclusion, et précisément le dedans d'une culture.
C'est peut-être là que réside la spécificité même de la « folie » à notre époque, de désigner à la fois l'extérieur et l'intérieur : l'intérieur, dans la mesure même où elle est censée « être » l'extérieur. Dire que la folie est devenue bel et bien notre lieu commun, c'est donc dire que la folie désigne dans le monde contemporain l'ambiguité radicale de l'intérieur et de 1'extérieur, en tant que cette ambiguité échappe justement aux sujets parlants, qui ne parlent que pour la méconnaître. Une folie devenue lieu commun signifie qu'on ne peut plus, désormais, penser la folie comme un simple lieu à l'intérieur de notre époque; c'est plutôt l'époque tout entière qui confusément se perçoit comme un lieu à l'intérieur même de la folie. Un discours qui traite la folie ne peut plus savoir, désormais, s'il est dedans ou dehors, intérieur ou extérieur à la folie dont il parle.
Certes, au niveau du lieu commun, la folie a en quelque sorte cessé de nous paraitre étrange. Or, avoir perdu de la sorte l'étrangeté même de la folie (ou s'en donner le change), n'est-ce pas ce qu'il y a, justement, de plus étrange, de plus fou dans le discours contemporain?
"la matière première de la littérature n'est pas l'innommable, mais bien au contraire le nommé. On entend souvent dire que l'art a pour charge d'exprimer l'inexprimable : c'est le contraire qu'il faut dire (sans nulle intention de paradoxe) : toute la tâche de l'art est d'inexprimer l'exprimable." Citation de R. Barthes
Si la littérature, de son lieu spécifique, nous renseigne sur la folie la folie peut-elle à son tour nous renseigner sur la chose littéraire ? Il me semble que, s'il existe en effet quelque chose comme la chose littéraire, elle ne peut s'expliquer que par la folie. Mais si la folie à mes yeux, rend raison de la chose littéraire, ce n'est pas comme on a pu le penser, en vertu d'une « sublimation » ou d'une fonction proprement thérapeutique de l'écriture, mais en vertu d'une irréductible résistance de la chose à l'interprétation. La folie en dernière instance, se sera définie dans ce livre comme une résistance en acte à l'interprétation. La folie, en d'autres termes (comme la chose littéraire), ne consiste ni en sens ni en non-sens; elle n'est pas un signifié dernier, aussi manquant ou disséminé qu'on puisse se l'imaginer, ni même un signifiant ultime qui résiste au déchiffrement exhaustif, mais une sorte de rythme imprévisible, incalculable, inarticulable, mais foncièrement narrable, à travers le récit du glissement d'une lecture entre le trop-plein-de-sens et le trop-vide-de-sens. Toute lecture est un récit rythmé par la rhétorique de ce qu'elle manque à dire sur son rapport au texte et à la folie du texte.
La répétition, pour Rousseau, est - de façon paradoxale - l'expression la plus directe possible : la voie la plus courte entre deux cœurs n'est pas la ligne droite du discours linéaire à sens unique, mais le tour, le détour de la répétition, laquelle garantit la« vérité » du sentiment, voire l'identité, l'authenticité du cœur. La même idée se retrouve, dans un autre contexte, chez Poe, étudiant la répétition formelle dans son poème, « Le corbeau ». « Le plaisir, note Poe en parlant de la tradition lyrique du refrain, est dérivé uniquement du sentiment, de la reconnaissance de l'identité - de la répétition.