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Citation de enkidu_


On pourrait dire que la Chine est une vision du monde, une façon de concevoir les rapports de l'homme avec l'univers, une recette pour l'entretien de l'ordre cosmique.

Le concept clef de la civilisation chinoise est celui d'harmonie : qu'il s'agisse d'ordonner les rapports des hommes entre eux, ou d'accorder l'individu aux rythmes de l'univers, cette même préoccupation d'harmonie anime et la sagesse confucéenne, et la mystique taoïste ; en ceci les deux écoles sont complémentaires plutôt qu'opposées, et ne diffèrent essentiellement que par leur aire d'application – sociale, extérieure et officielle pour l'une, spirituelle, intérieure et populaire pour la seconde.

Les divers courants de la pensée chinoise dérivent tous d'une commune source cosmologique. Cette cosmologie (résumée schématiquement dans le plus ancien, le plus précieux, mais aussi le plus obscur des traités canoniques, le Livre des mutations) considère que l'infinité des phénomènes est en état de flux perpétuel ; cette création permanente résulte elle-même du mariage de deux forces antithétiques et complémentaires. Ces deux forces – ou ces deux pôles – constituent une diversification de l'Avoir. L'Avoir est lui-même un produit du Non-Avoir (wu) que, par un contresens courant, on s'obstine à traduire « le Néant », alors que la notion se rapproche plutôt de ce que la philosophie occidentale appelle l'Être. Les penseurs chinois ont jugé avec sagesse que l'Être ne se peut appréhender que de façon négative : en effet, l'Absolu que l'on pourrait définir et nommer, qui aurait des qualifications et des propriétés, qui donnerait prise à une description, ne saurait être l'Absolu véritable, mais relève seulement du domaine de l'Avoir, avec son kaléidoscope éphémère et mouvant des phénomènes. Le processus qu'on vient d'esquisser ne forme pas un enchaînement mécanique, une séquence causale ; c'est un cercle organique à l'intérieur duquel les diverses phases existent simultanément. Si les textes plus anciens semblent impliquer une antériorité du Non-Avoir sur l'Avoir, les commentaires ultérieurs décrivent leurs relations comme un échange, une dialectique d'opposés-complémentaires, s'engendrant l'un l'autre. L'Être est le substrat fécond, le champ où germe l'Avoir, ou, si vous voulez, le vide est l'espace nourricier des phénomènes. On ne peut donc appréhender l'Être qu'en creux, en cernant son absence – un peu comme un sceau gravé in taglio livre son message en blanc, ne révélant son dessin que grâce à l'absence de matière. Cette notion selon laquelle 1'Absolu ne saurait être suggéré que par le vide est d'une importance particulière pour l'esthétique chinoise, comme nous verrons plus loin.

La pratique des arts constitue une mise en œuvre concrète de cette vocation d'universalité, de cette suprême mission d'harmonie, que la sagesse chinoise assigne à l'honnête homme : il s'agit pour celui-ci de dégager et retrouver l'unité des choses, de mettre le monde en ordre, de s'accorder au dynamisme de la création. (pp. 576-577)
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