F. Sironi : A propos de l'expertise psychologique de Duch
La déconstruction identitaire n'a rien à voir avec l'affect, mais avec le façonnage d'un être au travers de l'action sur les mécanismes de pensée. Les initiés en cours d'affiliation, tout comme les personnes torturées, sont soumis à un traumatisme intellectuel, à un traumatisme du non-sens. L'anticipation est impossible, toute recherche de sens est bloquée. Tout n'est qu'action, et tout est prévu pour faire barrage au travail de la pensée. Ces deux groupes d'individus (tortionnaires en formation et victimes de torture) sont soumis à des ordres absurdes, illogiques, grotesques, imprévus, qu'il leur faut exécuter sans rien comprendre. Leur comportement est dicté par une source externe, les obligeant à réprimer toute pensée personnelle.
Nous sommes le matin du 5 février 2008, entre 11 et 12 heures. Il fait déjà plein soleil sur Phnom Penh quand nous arrivons dans la cour arrière du tribunal spécial Khmers rouges. Le prestigieux bâtiment, orné d'un toit flamboyant de tuiles vernissées, couleur vert et or, et décoré sur tout le pourtour de belles sculptures en bois, appartient au ministère de la Défense.
Nous cheminons vers le centre de détention qui se trouve donc derrière l'impressionnant bâtiment, et nous retrouvons nez à nez avec une petite maison basse, toute simple. C'est là que se trouvent enfermés Duch ainsi que les quatre plus hauts dignitaires du régime Khmer rouge encore en vie...
Comment devient-on un criminel contre l'humanité ? Cette question, je n'ai cessé de l'explorer depuis plus de vingt ans de ma place de psychologue, de psychothérapeute et de chercheuse. Je l'ai explorée à partir de mon expérience clinique avec les victimes de tortures et avec d'anciens tortionnaires, génocidaires combattants et auteurs de violences collectives.