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Citation de Luniver


Avaler une pilule était systématiquement un moment douloureux. Chaque gramme de drogue que j’ingurgitais remettait en question le fondement de ma pathologie et du traitement même. J’avais du mal à digérer qu’on soignât une anomalie que l’on ne nommait pas, par des poisons dont on ne connaissait pas grand-chose. Je souhaitais secrètement qu’elle eût été assez futée pour me prescrire des placebos.

Le mystère dont [la psychiatre] faisait preuve dans les entretiens rendait cette hypothèse réaliste. Parfois j’arrivais même à me persuader que c’en était, ce qui rendait ma prise acceptable. « C’est juste du sucre, Sophie, ce n’est pas dangereux, et tu n’as rien ! » La thèse du placebo était renforcée par l’inefficacité de ces pilules en termes de guérison. Les effets secondaires, eux, par contre, étaient bien réels. Mais pour me rassurer et conforter mon hypothèse, je me disais qu’ils étaient dus au choc de l’annonce de mon statut de « malade mentale ». La simple évocation d’un diagnostic de dérèglement psychique aurait été si puissante qu’elle aurait pu entraîner chez moi : un dégoût et une injustice abyssale tels, qu’ils auraient déclenché une série de symptômes : aménorrhée, cauchemars, taux de testostérone qui grimpait en flèche, fatigue intense, fringales, douze kilos en trop, tremblements parkinsoniens, problèmes pour uriner, autant de signes palpables d’un dérèglement. Et pourquoi pas ? La force de ce jugement de ce que j’étais par mes semblables, cette position de folle serait plus nocive que la pathologie elle-même. Ou alors était-ce la chimie des médicaments finalement ? J’étais perdue. Je n’étais pas suivie, mais égarée, sûrement. C’était insupportable de penser que les seules manifestations visibles étaient dues aux molécules de synthèse et non à la maladie. Cette pensée ne faisait qu’amplifier mon mal-être, mon sentiment d’injustice, l’idée même que c’était la prise de médicaments qui me rendait malade. Participant largement au fait que certains soirs, je décidais de ne pas les avaler. Chaque prise contribuait aussi à alimenter ma dépression.
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