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Citation de mimo26


La maison domine la dune. Il s’agit d’une de ces grandes villas du pays de Caux. Construite sous le Second Empire, elle offre à la vue une façade à colombages avec de larges ouvertures qui plongent directement sur la falaise. Façonnée de damiers en brique, d’ardoise et de bois, elle est une fantaisie charmante dans laquelle j’ai passé une partie de mon enfance.

Sur le seuil, je suis restée immobile, aspirant avec avidité le parfum habituel : cette odeur familière aux notes marines à laquelle se mêlait l’arôme du café que je m’étais préparé avant de descendre à la plage. Sans prendre la peine de me changer, j’ai attrapé mon imper et un sac à dos. Alors que j’allais m’élancer à l’étage, j’ai aperçu la silhouette de Caroll se profiler au bout du chemin. Caroll est une voisine à la retraite qui habite deux villas plus haut sur la jetée.

Une vague de panique m’a saisie. J’ai rassemblé mon énergie et, après avoir enfilé le ciré pour dissimuler les taches de sang, je me suis composé un visage aussi lisse que possible. Lorsqu’elle a atteint la porte, j’étais déjà dans le bureau de Jeffrey. Depuis le balcon, je lui ai demandé :

— Peux-tu me déposer à la gare ?

Caroll ne m’a pas répondu vu qu’elle est muette, mais elle a souri. A cet instant, j’ai actionné mon iPhone et la voix de Jeffrey a brusquement résonné dans la pièce. De là où nous étions, Caroll en bas, moi à l’étage, nous l’avons entendu aboyer :

— Ne me raconte pas n’importe quoi ! C’est des conneries ! Fous-moi la paix ! J’ai du travail !

A Caroll qui écoutait, j’ai esquissé une grimace.

— Jeffrey est au téléphone avec un de ses collaborateurs. Ça chauffe ! Comme il est d’une humeur de chien, je préfère prendre le large. Attends-moi une seconde, je le préviens que je file avec toi…

Dans le bureau, j’ai crié, assez fort pour être entendue de l’extérieur :

— Jeff, je te laisse ! Si tu dois faire du bateau, sois prudent en mer. On annonce une tempête…

Tout en parlant, je surveillais ma voisine. Croisant mon regard, elle a tapoté le cadran de sa montre avec impatience. En un clin d’œil, j’ai fermé la fenêtre avant de glisser dans ma poche l’iPhone sur lequel j’avais enregistré depuis quelques mois mes échanges téléphoniques avec Jeffrey, preuves de son attitude odieuse à mon égard. Epiant les sons, je me suis assurée que la pièce était en ordre et non sans une pointe de nostalgie je suis descendue.



Entre la maison et la gare, les mains de Caroll sont restées silencieuses. Elles savent pourtant être bruyantes lorsqu’elles veulent se faire comprendre. Mais tout au long du trajet, elles n’ont pas cherché à s’exprimer ; juste une caresse sur la joue quand je suis sortie de la voiture. Ce geste accusait une profonde émotion. En retour, j’ai souri. Caroll, je l’aime bien. C’est une femme fiable. Elle est muette, mais pas sourde. Ma voisine a l’oreille fine, on appelle ça la compensation des sens.
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