Sophie Herszkowicz

L'art contemporain est l'institutionnalisation caricaturale du statut d'artiste. L'art contemporain, qui n'invente plus, qui se répète lui-même en feignant de dénoncer la répétition a largement puisé dans les inventions des incohérents. Ceux qui se moquent du public ont emprunté ou reçu des incohérents qui riaient avec le public. Les académiciens étaient ridiculisés, l'art contemporain s'est érigé en institution inattaquable. Le Prix Marcel Duchamp indique par exemple que l'on peut seulement tenter de produire quelque chose d'esprit duchampien, sans toucher à Duchamp bien entendu, quelque chose qui soit du jamais vu, sauf qu'à force de puiser dans le calembour, le concept pur ou le sexe on aura à peu près tout vu - de ce qui meuble les musées, et qui s'atteint par lui-même. La nouveauté en l'occurrence, on l'aura compris n'est plus de mise. Certains font le sale, le macabre, ils ont beau aller très loin dans leur autodestruction dite "en direct" et médiatisée, ils s'arrêtent là également ; ils ne nous donnent toujours pas quelque chose qui mérite qu'on y consacre plus que l'éventuelle ou surprenante ou douteuse curiosité du moment.

La plus grande invention des arts incohérents n'était peut-être pas telle forme plastique ou tel trait d'esprit, mais un statut; l'invention la plus frappante de cette fin du XIXe et du XXe siècle est celle de la figure de l'artiste. Elle apparaît au travers de cette histoire réellement nouvelle dans l'histoire universelle. De même que la figure du chevalier errant apparut au moyen âge, inondant la littérature et l'esprit romanesque plusieurs siècles durant, la figure de l'artiste a également ses lettres de noblesse et sa décadence, on peut lui supposer un destin semblable à celui du chevalier aventureux à la fin donquichottesque. L'artiste commença avec la bohème, il finit avec l'art contemporain.