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Citation de Woland


[...] ... Non moins fatale est l'influence de la défaillance intime de Louis XVI sur le développement moral de Marie-Antoinette. Suivant la loi des sexes, le même trouble provoque chez la femme et chez l'homme des phénomènes totalement opposés. Quand la vigueur sexuelle d'un homme est soumise à des perturbations on voit apparaître chez lui une certaine gêne, un manque de confiance en soi ; quand une femme s'abandonne sans résultat il se produit inévitablement une agitation, une surexcitation, un déchaînement nerveux. Marie-Antoinette, elle, est une nature tout à fait normale, très féminine, très tendre, destinée à une nombreuse maternité, n'aspirant vraisemblablement qu'à se soumettre à un homme véritable. Mais la fatalité veut que cette femme désireuse et capable d'aimer fasse un mariage anormal, tombe sur un homme qui n'en est pas un. Il est vrai qu'au moment de son union elle n'a que quinze ans, que le déséquilibre sexuel de son mari ne devrait pas encore peser sur elle ; qui oserait soutenir qu'il est contraire à la nature qu'une jeune fille reste vierge jusqu'à sa vingt-deuxième année ! Mais ce qui provoque, dans ce cas particulier, l'ébranlement et la surexcitation dangereuse de ses nerfs, c'est que l'époux, qui lui a été imposé par la raison d'Etat, ne lui laisse pas passer ces sept années dans une chasteté entière, c'est que chaque nuit, ce lourdaud, cet empoté s'essaie en vain et sans cesse sur son jeune corps. Pendant des années sa sexualité est ainsi infructueusement excitée, d'une façon humiliante et offensante qui ne l'affranchit point de sa virginité. Il n'est donc pas nécessaire d'être neurologue pour affirmer que son funeste énervement, sa constante insatisfaction, sa course effrénée aux plaisirs, sont les conséquences typiques d'une perpétuelle excitation sexuelle inassouvie. Parce qu'elle n'a jamais été émue et apaisée au plus profond d'elle-même, cette femme, inconquise encore après sept ans de mariage, a toujours besoin de mouvement et de bruit autour d'elle. Ce qui au début n'était que joyeux enfantillage est peu à peu devenu une soif de plaisirs, nerveuse et maladive, qui scandalise toute la cour et que Marie-Thérèse [= mère de Marie-Antoinette et impératrice d'Autriche] et tous les amis cherchent en vain à combattre. Alors que chez le roi une virilité entravée trouve un dérivatif dans le rude travail de forgeron, dans la passion de la chasse et la fatigue musculaire, chez la reine le sentiment, dirigé sur une voie fausse et sans emploi, se réfugie en de tendres amitiés féminines, en coquetteries avec de jeunes gentilshommes, en amour de la toilette et en autres satisfactions insuffisantes pour son tempérament. Des nuits entières elle fuit le lit conjugal, lieu douloureux de son humiliation, et, tandis que son triste mari se repose des fatigues de la chasse en dormant à poings fermés, elle va traîner jusqu'à des quatre ou cinq heures du matin dans des redoutes d'opéra, des salles de jeux, des soupers, en compagnie douteuse, s'excitant au contact de passions étrangères, reine indigne, parce que tombée sur un époux impuissant. Mais certains moments de violente mélancolie révèlent que cette frivolité, au fond, est sans joie, qu'elle n'est que le contrecoup d'une déception intérieure. Qu'on pense surtout à ce qu'elle écrit à sa mère, à ce cri du coeur, quand sa parente, la duchesse de Chartres [= future duchesse d'Orléans et épouse de celui qui deviendra le tristement célèbre "Philippe-Egalité"] accouche d'un enfant mort-né : "Quoique cela soit terrible, je voudrais pourtant en être là." Mettre au monde un enfant, fût-il mort. Sortir de cet état malheureux et indigne, être enfin comme toutes les autres, et non plus vierge au bout de sept ans de mariage. Qui ne voit pas un désespoir féminin, derrière cette rage de plaisir, ne peut ni expliquer, ni concevoir la transformation extraordinaire qui s'opère dès que Marie-Antoinette devient enfin épouse et mère. Aussitôt ses nerfs se calment sensiblement, une autre Marie-Antoinette apparaît : celle de la seconde moitié de sa vie, volontaire, audacieuse, maîtresse d'elle-même. Mais ce changement vient trop tard. Dans le mariage comme dans l'enfance les premiers événements sont décisifs. Et les années ne peuvent pas réparer la moindre déchirure dans le tissu extrêmement fin et hypersensible de l'âme. Les blessures du sentiment, les plus profondes, les moins visibles, ne connaissent pas de guérison complète. ... [...]
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