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Citation de Domi73


Opera Mundi

L'homme européen aime à oublier la nature. Le séisme philosophique déclenché par le tremblement de terre de Lisbonne est, à cet égard, le moment crucial où le penseur des Lumière s'est trouvé rappelé au désordre de la nature. Il en est d'autres, de temps à autre : l'éruption du Krakatoa en 1883, que j'ai longuement décrite dans La Théorie des nuages, le tsunami de décembre 2004 en Asie du Sud-Est, l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010. Mais la civilisation technicienne a produit, elle, des impensables d'un nouvel ordre : Hiroshima et Nagasaki, Tchernobyl, Fukushima. Tandis que les technocrates, comme toujours, fournissent le lexique approprié à de nouvelles falsifications : on veut nous faire dire accident au lieu de catastrophe ; et les journalistes docilement s'exécutent. On s'étonnera peut-être de trouver ici, en un essai littéraire, comme on dit, et s'agissant de romans, une référence à ces catastrophes ; j'écris certainement d'avantage en rapport avec ces événements qu'en relation avec ce qu'il est convenu d'appeler mes contemporains, ou même avec le contemporain.

Maintenant souvenons-nous des images de la dernière catastrophe à ce jour, celle de Fukushima : qu'avons-nous vu, dans un premier temps ? Un spectacle étrange, parce que sans victimes : d'abord parce que les médias japonais répugnent à les montrer au public ; ensuite parce que la puissance du tsunami réduisait brusquement tous les objets à une échelle dérisoire : ces petites boîtes que charriaient la vague surpuissante, il nous fallait faire un effort pour y reconnaître enfin d'énormes 4X4. Et c'est cela que l'image nous signifiait : non pas tellement un phénomène naturel, mais celui d'une civilisation matérielle brusquement perceptible pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la plus fabuleuse production d'objets de l'histoire universelle. Ce que nous avons vu filer follement sur les plaines cultivées du Japon, ou dans les avenues changées en fleuves de boues, emporté par les eaux noires indifférentes, chalutiers et poteaux électriques, voitures et maisons, bâches agricoles et rails de sécurité, c'est notre monde : celui des choses. Nous avons assisté au choc de deux puissances : d'un côté l'énergie déchaînée de la Nature, d'une violence inouie. De l'autre côté, l'énergie de la civilisation occidentale mondialisée, incarnée dans tous ces objets manufacturés, ici vaincue, balayée.
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