Il y a des impératifs économiques, il y a l’air du temps, il y a la chance, il y a les bonnes relations ou la célébrité. Un nom déjà médiatisé, ça aide, tous ces paramètres ne sont pas à exclure. Kafka, de son vivant, ne vendait ses ouvrages qu’à cinq cents exemplaires. Lorsque tu sais que George Orwell a été policier, professeur, plongeur dans un restaurant, avant de connaître une gloire posthume, pour son roman « 1984 », ça veut tout dire. Et Ray Bradbury, celui qui a envoyé son manuscrit des « Chroniques Martiennes » à tous les éditeurs aux États-Unis, dont aucun ne croyait en lui ? Il a suffi qu’un seul éditeur lui fasse confiance pour qu’il connaisse le succès à une échelle mondiale. Parfois, il suffit d’un tout petit rien.
La voilà, le métro est à quai, c’est celui de sept heures trente-cinq. Les portes s’ouvrent et il y a une femme dans la foule. Une anonyme pour les autres, mais pas pour moi. Qu’elle est belle, toujours bien habillée, tiens aujourd’hui elle nous a mis ses talons hauts, et son long manteau noir. Quelle élégance, pleine de prestance, qu’est-ce que j’aurais aimé avoir le courage de lui demander des nouvelles des enfants, mais je n’ose. Et hop ! Elle passe devant moi sans me voir, si elle savait. Si elle savait la loque que j’étais devenu. Je pense qu’elle aurait honte de moi, on a beau passer dix ans de sa vie avec une personne, on ne sait jamais vraiment qui elle est.
La mort qui fait sortir certains artistes de l’ombre, fait entrer à jamais tous les autres au panthéon de l’anonymat, là où la lumière ne pénètre jamais. L’artiste ne doit jamais s’arrêter même s’il échoue ou réussit. Il doit, à la manière de Picasso, trouver et ce, sans relâche. La réception de son œuvre par le public ou par ses confrères est mauvaise ? Il doit se remettre en question et repartir pour aller dans la direction qu'il juge être la meilleure. Il doit avoir autorité sur ses productions. Plaire ou ne pas plaire ? Telle est la question. Il ne faut pas se laisser enfermer, pour plaire, il faut sans cesse trouver de nouvelles voies.
Parce que je t’ai aidé et que tu n’as pas les moyens de me rembourser ? Pourtant tu es un artiste, que tu ne puisses pas me rendre si peu, c’en est presque honteux ! On frôle le ridicule ! Moi, l’ouvrier, je serais supérieur à toi ?
Cette masse indistincte d’êtres aux destins qui se croisant l’espace d’un court instant, se regardent sans se voir, s’écoutent sans s’entendre. Chacun ses soucis, ses rêves, ses buts, ses joies. L’individu inexistant aux yeux des autres. Le règne de l’individualisme et le règne de l’anonymat.
On a beau être au beau milieu d’une foule, on est toujours seul face à la multitude, grande ville, petite solitude. Je m’approchai du vide, je me sentais dans un état second, prêt au pire.
Lorsque l’on naît, on nous bénit, on nous berce, oubliant de nous dire que la vie est un champ de bataille.
...le prophète ce n'est pas celui qui vous dit : « C'est bien, continuez comme cela ! », c'est celui qui vous dit : « Vous vous égarez, voici le chemin ! » Là est la sagesse, viser le progrès, changer son style, continuer à évoluer, la perfection est le but ultime, soit un éternel horizon, puisqu'au fond personne ne peut jamais parvenir à l'atteindre.
Je suis ce pauvre clochard que tout le monde ignore ou feint d’ignorer. Je suis ce paria à qui elle jette des pièces de monnaie dans le gobelet de temps à autre, cet être abject que les gens n’aiment pas sentir ou croiser du regard. Je suis le père de deux filles que je n’ose même plus approcher. Je sais que beaucoup se doutent que tout comme eux j’ai eu mon ascension, j’ai été un empire prospère, j’ai eu mon apogée, mon heure de gloire, mais comme tous les grands empires j’ai eu mon déclin, ma fin.