Elles avaient à la main de jolis sacs griffés, et aux pieds des souliers dont le cuir verni brillait sous les néons de l’aéroport. Tout ce tissu qui les recouvrait n’arrivait pas à cacher leur beauté et leur féminité. On les devinait élancées ou voûtées, avec des seins à peine formés ou généreux, adolescentes ou enceintes. Sans les voir, on reconnaissait facilement les coiffures, les queues de cheval. Le noir du tissu était profond même si la matière semblait légère. Il est vrai que dans les pays chauds le soleil accélère les mues.
— Vous avez de beaux cheveux, vous faites des hennés, des bains d’huile d’olive?
J’ai éclaté de rire. J’avais déjà été coquette, mais c’était du passé. J’avais vieilli. Je ne tolérais plus de me voir en photographie. L’image ne renvoyait plus la personne que je croyais être. Mais personne n’y échappe, n’est-ce pas?
— Vous êtes chanceuse, car vous avez de jolis cheveux bien épais, sans avoir tout le poil sur le corps, comme nous, les femmes d’ici. Il faut sans relâche s’épiler, ah oui, c’est ainsi.
C’est la baie de Jounieh. Une des plus belles au monde, dit-on. Il y a une marina en bas. Plus haut, vous trouvez le Casino du Liban et ses haies de citronniers taillés. Pendant la guerre, beaucoup de gens se sont réfugiés à Jounieh. La guerre a changé bien des choses, vous savez. Mais la baie est toujours aussi belle. La nuit, la lune se dédouble dans la mer.
— Ce n’est pas trop court du tout, c’est très beau. D’ailleurs, tu as de jolies jambes, tu devrais les montrer davantage. Allez, un grain de gaieté ne te fera pas de mal!
«Si vous avez compris quelque chose au Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué.» Et encore, c’était dans les années quatre-vingt, ça ne s’est pas simplifié depuis!
J’ai mué très tôt. Je n’étais pas au courant de ce qui allait se passer. On ne parlait pas de ces choses-là, à la maison.
Marie Darrieussecq