On a consulté des colibris pour l'adret et l'ubac,
les embarcadères et débarcadères,
la proue et la poupe,
dans une découpe de brume à Zielona Góra,
à Southampton, pour le départ d'un navire
affrété par la Compagnie royale des Indes,
pour le partage des eaux,
pour le partage des épaules
et la naissance du cri.
Ces jours-là, trois dauphins
ont transcrit leurs réponses
sur des livres émargés d'écume.
Certaines soulignées de sel.
Si les grands et beaux guerriers Masaïs dansent,
les lances plus droites qu'antennes,
les lances à recoudre ciel et terre
mieux que machines Singer,
si les guerriers Masais dansent d'un grand saut,
c'est aussi pour redonner la parole au colibri.
Et ce serait comme laisser ses ombres aux taupes
ou au rat des bambous,
dans l'hypothèque des murs..
Ce serait table dressée au bar des acacias
avec filles sans barbelés,
avec filles comme feuilles tendres
à mâcher comme on marche,
dans l'estime et dans son sel,
avec mains d'ombres rafraîchissantes
sur le front-midi des savanes et des possibles,
des savanes senteurs-lenteurs.
Le dit du colibri
Le colibri sait tenir les minutes d’un procès :
il lui suffit de battre des ailes.
Les colibris butinent l’absente de tout bouquet.
Sur un toboggan,
tu peux rejoindre quelques instants un colibri :
mais tu es un enfant
et tu sais encore abandonner tes ombres.
Tu souris aussi à l’épicière qui te donne
des points-colibris à coller sur des feuilles.
p.54
Fragments d'un rêve
en courses majeures
Et de ce temps-longtemps,
ni traces de pas, ni Laetoli,
ni même Tanzanie,
ni brunes et fines peintures des Sans,
ni cahier, ni retour,
seul un pays bubale.
Et dans le son végétal
s'élevaient des clameurs d'aloès,
de jacarandas, d'herbe à poivre,
d'herbe à autruche et d'herbe rouge.
p.31
Avant le colibri
comme pour ouvrir une voix
Au deuxième rêve du rêve,
dorsale, bossale,
vint la geste.
Et c'était la Baleine des baleines,
le grand coup de rien
d'avant la parole
puis cette bouche ouverte
aux fanons constellés de la nuit.
(J'ai pour preuve toujours
le diamant noir du nombril.)
Au deuxième rêve du rêve,
l'eau verte se mit à trembler
près de l'oreille comme abeille
au silence sucré d'une vasque.
Mais j'étais si loin,
que je ne pouvais courir,
je pourrais, je pourrais, c'est pourrir,
j'étais si loin de l'herbe-poème,
pas même mâché
dans la calebasse du son.
p.12
Le dit du colibri
Le colibri nous révèle la neige sur un point.
(D'une seule et brillante remarque de plumes bleutées.)
Si tu lances bien ta toupie,
pendant quelques secondes,
tu peux parler colibri.
Le dit du colibri c'est beau comme dans On a beau dire,
on a beau faire : le dit du colibri toujours nous précède.
Parfois le colibri vient à moi, presque à reculons.
Il a des yeux-colibris, des mains-colibris,
et je cligne des yeux pour le rejoindre.
Il y a des femmes qui m'ont permis d'approcher le colibri.
p.47
Fragments d'un rêve
en courses majeures
Or.
Or en fut le premier mot pour naître.
Et à cet autre et même instant,
je me souviens, ça poussait.
Il n'y avait là que courses effrénées
aux prédations huilées du soleil,
il n'y avait là que nyalas rayées de blanc,
et denses broussailles dans la véraison
de leurs yeux noirs.
Et plus tard,
ces taches d'eau où laper,
tandis qu'au muscat noir de tes yeux d'antilope
la nuit distillait un frémissement de muscle,
de jonc et d'aguets.
p.33
Fragments d'un rêve
en courses majeures
Avec,
flammées de blanc qui fait front,
damalisques,
ce galop de nuages sonnants
au pouls profond de la terre,
aussi suspendu qu'un briquet-tempête
dans l'aéropostale des songes,
ce galop de damalisques,
damalisques, damalisques…
Et aux aisselles des roches,
quelques damans condescendants
pour regarder aller et venir
ce futur éléphant de mes faiblesses,
pour le regarder ronger quelques racines à venir.
Acacias. À venir.
p.32
Le dit du colibri
Avec du rhum et du miel aux mille fleurs,
tu installes des colibris sous les tempes,
un bon feu dans ta poitrine principale
et des joueurs de ka.
Tu peux aussi entendre des poèmes natures
avec leurs faunèmes, avec quelquefois
de l'eau verte qui tremble et respire
tout près de l'oreille.
Le colibri sait ce que je dis.
Même égorgé de bleu.
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