C’était Nader, il le savait. Son cœur, le savait. Et ce, malgré la blondeur de la peau, malgré la Nader que la prétendue Carla disait connaître. Combien de Nader n’avait-il donc pas rencontré depuis l’étrange disparition de sa Nader à Richmond ? Combien ? Ronil ne les comptait même plus tant le nombre ne cessait de décupler année après année. En fait, à dire vrai, Ronil ne s’était pas entièrement dévoilé à Warren. Et puis, qui disait tout à un psychologue de nos jours ? D’autant plus que ledit psychologue travaillait la main dans la main avec le cabinet d’avocats qu’il prévoyait secrètement de réduire à néant avec l’aide de Martin.
À trente-six ans seulement, il était déjà au sommet d’une carrière fulgurante. Enfin, disons surtout que Martin était la coqueluche des journalistes en quête de gros titres. Un jeu auquel il s’adonnait pleinement, tant faire la une des plus grandes pages de magazines était un de ses hobbys favoris. Une façon pour lui de montrer au monde qu’il était le meilleur de sa profession. Comme quoi, Martin André Laporte ne jouait jamais dans la modestie. Il était de ceux qui accordaient beaucoup trop d’attention à leur égo.
Son bien-être devait passer avant tout le reste. À la suite de quoi, dans l’ombre, ce dernier avait usé de son pouvoir pour faire en sorte que la presse à scandale française lui fiche la paix. Après cela, Martin s’était tourné vers Caroline. Disons qu’il avait à cœur de rapprocher sa confidente de toujours à la femme qu’il aimait plus que tout. Il les voulait amies. Il les voulait sœurs. Et de cette seule manière seulement, sa New-Yorkaise se sentirait moins isolée, moins triste. Mais surtout, moins perdue.
Le plus grand pouvoir de l’amour, avait-elle dit, ce n’est pas le mariage. Mais la mémoire. Une évidence qu’il ne pouvait malheureusement pas nier. Aujourd’hui encore, celle qu’il aimait par-dessus tout c’était Nader. Son souvenir était d’une telle puissance, si exceptionnellement ancré en lui, que pas même toutes les étreintes de Venise, tout son amour‒ au combien si grand‒ n’avaient pu altérer la plus petite parcelle des sentiments qu’il éprouvait toujours envers cette dernière…
Peut-être que si elle était entrée avec lui, pensa-t-il en traversant la salle de séjour pour la chambre à coucher, il aurait sûrement eu une chance avec elle. Mais il ne fallait pas rêver. Des filles comme elle, aussi riches et puissantes, et irrésistibles en plus de cela, ça ne sortaient pas avec des nouveaux riches de son genre. En outre, il n’était pas si riche que ça. Son compte en banque venait tout juste d’atteindre la barre du million.
C’était des gens ignobles, des viles personnes qui, depuis toujours, détestaient viscéralement Medhi Sagate pour avoir été, lui, le pauvre espagnol au passé carcéral, l’élu du cœur d’Elka Edward. Au souvenir de sa mère, les yeux de Perla-Alicia s’emplirent soudainement de larmes. Elle lui manquait tant. Mais très vite, son pouls s’accéléra avec violence lorsque son regard se porta sur une voiture de police parquée au pied de l’immeuble résidentiel.
L’étrangeté du regard creux qui dissimulait une once de verdeur d’amande, l’ovale du visage et cette expression si particulière qui menait un sourire à sa guise firent saisir Jean-Robert d’un subit tremblement extrêmement violent : - Perl-Al ? s’étrangla-t-il. Jean-Robert perdit l’équilibre et atterrit piteusement sur la surface couverte de gazon. Perla-Alicia accourut. Mais les malabars furent plus rapides qu’elle.
Carla n’était pas seulement terriblement importante aux yeux de Harry Edward. Elle était bien plus que ça. Elle était sa carte vitale. Une information que Medhi ignorait encore selon toute vraisemblance. Ce qui n’était manifestement pas le cas pour le cerveau de l’opération. - Mais qu’est-ce qui peut bien vous le faire croire ? demanda-t-elle dans le but d’en savoir un peu plus sur la personne qui tirait les ficelles.
C’était incroyable, la perfection même semblait avoir tracé chacune des courbures de son corps. Dans sa longue robe en dentelle rouge à fines bretelles qui mettait en valeur son décolleté, Carla ne resplendissait simplement pas. Elle était divine. De plus, ses longs gants en cuir qui montaient jusqu’aux coudes et ses boucles d’oreilles pendantes serties de rubis lui donnaient une véritable prestance de reine.
On lui avait appris à la datcha que l’amour, le vrai, il tuait. Peut-être pas forcément les deux conjoints, mais toujours celui ou celle qui aimait le plus. Car passer de vie à trépas par amour, c’était en fait ça, l’amour. Un axiome que son célèbre auteur, Medhi Sagate, avait réussi à tapir dans la conscience d’une centaine, sinon voire même des millions d’êtres humains de par le monde entier.