Sylvain Gau-Gervais

Ce qu'il faut se dire n'est pas que l'on vit en cage, dedans sa subjectivité par exemple, surtout pas, mais que ce sont les autres qui sont emprisonnés, et que soi-même, on est hors de leur geôle, autrement dit l'unique qui puisse les observer de notre propre position. Le seul tel quel, cependant dupliqué en plus de six milliards d’êtres, plus de six milliards de subjectivités, de singularités – qui, moins l’une d’elle, celle de l’observateur, n’est plus qu’un amalgame – souvent dénommées comme grégaires – par dénigrement, imputable au manque de recul sur le recul qu’on prétend avoir pour en juger de la sorte. Cette position de supériorité que nous offre la conscience de la différence d’autrui par rapport à soi-même fait notre liberté à tous – du moins, génère son sentiment, obligatoire pour qu’elle soit en tant que telle –, mais également notre orgueil et notre dignité d’homme. Par manque de recul sur soi-même, on manque forcément de recul sur autrui.

UNE CANDIDE

Elle était imberbe, blanchie par les années.
Elle ne portait pas plus d’ornement que de vice.
Ses seins se tenaient haut en buste, robe lisse ;
Sont ceux du dessin d’un saint, vierges, épurés,
Saouls de candeur. Force éphélides constellaient
Son corps d’ivoire. Soleil les fit foisonner.
Elle ne les cultive, plutôt les farde, sa
Pureté en serait altérée. De longs doigts
Prolongeaient ses mains d’immaculée. Villageois,
Tous convoitent les vertus d’Alexandra.
Elle n’est pas de celles qui usent les chemins
De la confesse. Les péchés ne sont divins.
Son enveloppe, parfait reflet de son âme,
Icelle tramée des anges de Notre-Dame.

LE VENT SOUFFLE

Le vent souffle loin de tout formalisme,
Déchaîne les passions de ses caprices
Pour asseoir indéfiniment le prisme
D’un bonheur dénué de l’Avarice.
Le vent caresse selon son humeur,
Les sols, les mers, les cimes, les montagnes,
Puis courtise la corolle de fleurs ;
Pétales papillonnent et l’accompagnent.
Il ouvre les rideaux du renouveau,
Chasse les blancs nuages de sclérose
Garnis du coton de la sinistrose ;
Il se veut panseur du gouffre des maux.
Il couvre le néant de l’infini ;
Les ailes des angelets sur son lit
Battent de jour également de nuit.
Pourquoi les anges l’aiment et tu le fuis ?

Un ancien ami présent à la bibliothèque concomitamment, par ailleurs un pourceau de malice, une bête de rancœur et d’indécence purement cynique, prénommé Romain, alla, après qu’il me vit converser avec Zoé, qu’il connaissait également, lui offrir ma parole. Autant dire que cela fut solennel. Ma parole prétendument rapportée, mais surtout galvaudée, et non acheminée ni amorcée par mes soins – car il est bon de préciser que je ne lui avais touché mot depuis des années. On appelle ça être pris de court, et abusé. Pourtant, même cet acide de sottise ne pourrait un jour corroder l'emprunte de ses yeux sur les miens, les yeux de Zoé, l'abstraction qui la remplace encore lorsqu'elle n'est plus... Lorsqu’elle n’est plus.

Qu’il n’en chaille, peut-être l’aura-t-il mérité. À y réfléchir, dégueuler ne devrait pas être plus dégueulasse pour les cœurs sensibles que de rester à ne rien faire, lisse. Au fond, ce n'est que transgresser l'apparence et laisser voir un peu de ce qui se passe à l'intérieur. Ô belle gerbe! Lesdits cœurs sensibles, étant fleur bleue, devraient s'égayer de recevoir cette intériorité abstraite qu'ils appètent tant sans la voir: ils passent de la théorie aux faits. Voilà les seuls qui méritent donc qu’on leur vomisse sur la jambe, le bras, ou bien le tronc carrément ! Et Marcel Aymé ne l’eût pas contredit, car "quand on a l’expérience des choses vécues, l’on est revenu de bien des préjugés." Ils en auraient tâté ici – avec les beurrés qu’on avait –, de l’intérieur, les fustigateurs de l’apparence coulés en suave miel dans leur moule humain, en quintessence d’âme idyllique hideusement incarnée, en parfait soupir de rose défiguré, alcool de bouton d’or malsain, et pas n’importe lequel d’intérieur !