Sylvie Catherine de Vailly

Excitée, Mia Renaud glissa la clé dans la serrure. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours aimé cet endroit. Déjà, enfant, ses parents l’emmenaient en promenade dans l’immense parc qui abritait l’édifice.

L’été, elle courait dans les allées bordées d’arbres énormes aux essences différentes jusqu’aux abords de la rivière qui le traversait en serpentant. Chaque dimanche, elle venait jeter des restants de pain aux canards qui pataugeaient là avec leurs petits. L’hiver, elle chaussait ses patins, et sillonnait la rivière d’un bout à l’autre du parc, ou encore, elle s’amusait à faire la course avec son père. Un jour, elle avait compris qu’il la laissait toujours gagner. C’est sur cette longue langue gelée que ses parents lui avaient appris à patiner et à aimer cette saison. Elle se rappelait le temps où le kiosque offrait alors aux visiteurs chocolat chaud et beignets aux pommes et au sirop d’érable. Un délice!

C’est là aussi, à l’abri des regards, qu’elle avait donné son tout premier baiser. Il s’appelait Antoine Sylvestre. Ils avaient tous les deux dix ans. Ce fut le seul qu’ils échangèrent; Mia avait détesté l’expérience. Aussi, lorsque le garçon s’était approché pour recommencer, elle l’avait repoussé en s’essuyant la bouche du revers de la manche. Antoine en avait été vexé et, depuis ce fameux jour de mai, malgré les six années qui s’étaient écoulées, il ne lui avait jamais plus adressé la parole. Mia ne pouvait s’empêcher de sourire lorsqu’elle le croisait, mais lui, il l’ignorait complètement. Elle se promit qu’un jour elle l’aborderait pour que cessent enfin ces enfantillages; après tout, le crime n’était pas si terrible, enfin, elle l’espérait. Mia demeurait convaincue qu’Antoine jouait les vexés parce qu’il ne savait tout simplement pas comment réagir. Son orgueil en avait pris un coup, c’était clair, mais depuis le temps…