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Citation de Charybde2


Face à l’absence, chacun d’entre nous vit ou survit tant bien que mal. Depuis qu’il est seul, mon beau-père reste à la campagne, près du village sur l’autre versant de la colline. Il s’est replié sur lui-même, à ceci près que lui-même semble absent. Quand il passe le voir, son petit-fils le trouve presque en loques, comme un mendiant. Tant qu’il faisait froid, il paraît qu’il restait au coin du feu, tirant des cendres des châtaignes rôties, qu’il grignotait avec un peu de vin de ses vignes, avant de s’endormir sur place. Ces temps-ci, jouissant de la tiédeur des derniers beaux jours, il dort à la belle étoile, à même la terre, sur un lit de feuilles sèches, tombées des vignes. Le jour, il veille sur ses figuiers, ses poiriers, ses pommiers, ses oliviers et son potager. Sans doute soigne-t-il tout ce qu’il a planté pour son fils.
Cet homme qui avait tout, tant de prestance, de terres, de gens attachés à lui, s’en est délesté, comme si cela lui pesait. Il semble presque détaché de tout, mais je n’en crois rien. Il a simplement sacrifié ce qui le liait aux hommes, dans un espoir insensé : conjurer les puissances ou les forces qui nous entourent de lui rendre son fils. Sa femme, elle, a senti ses forces s’épuiser peu à peu dans le chagrin. Lui, il n’est pas défait, il s’est simplement défait de tout, réduit à l’essentiel. Jamais il ne va à la mer. Quand il s’allonge sur sa couche de feuilles, entre ses plants de vigne, sous les grappes lourdes, il sent la chaleur sèche de la terre monter et l’envelopper. Mais l’automne n’a qu’un temps. Voilà pourquoi j’ai entrepris de lui tisser un drap fin et solide, quand j’ai vu arriver les jours où je devrais laisser mon fils s’éloigner de moi pour aller parmi les hommes. Après tout, j’avais consacré tant de temps à élever cet enfant que la maisonnée semblait tourner toute seule. En fait, il n’en était rien : peu à peu, Éri s’était chargée de veiller à tout, et je m’étais effacée. Aux yeux de tous, je reste la maîtresse, j’ai la clef du cellier. Mais quand je me mets au métier à tisser, notre monde continue de tourner. Même s’il tourne autour d’un centre vide. Oui, ton absence contagieuse vide le monde de sa lumière, et nous nous retrouvons absents de nous-mêmes. Ta mère s’est laissée couler à pic dans le chagrin. Ton père s’est laissé sombrer dans le dénuement absolu. Et moi, ai-je fait mieux jusqu’à présent ?
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