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Citation de Cielvariable


Assise dans mon bureau, les deux pieds qui reposent sur le bord de ma fenêtre, je mâchouille mon stylo en écoutant mon meilleur ami me faire la morale. Le but de mon appel était d’évacuer une logorrhée de lamentations sur ma situation professionnelle, mais comme toujours Kaël remet la faute sur ma vie personnelle. C’est vrai que l’aspect social de mon existence a été lourdement négligé dans les dernières années, mais c’est justement en raison de mon travail.

Comme je suis journaliste judiciaire pour La Presse, on pourrait croire que l’actualité mouvementée m’offre une variété de sujets intéressants. Or ma patronne, Trish la bitch, comme mes collègues et moi la surnommons tout bas, s’amuse à me contraindre aux dossiers politiques. Il m’arrive de couvrir un procès, un meurtre ou une surdose, mais le plus clair de mon temps est comblé par des histoires lassantes de politiciens corrompus qui se lancent des insultes à micros ouverts ou fermés, selon que les élections sont proches ou non.

Au début, c’était stimulant, mais après trois années je connais les rouages de notre gouvernement au point d’en prédire les coups. D’ailleurs, j’écris régulièrement mes articles avant que surviennent les événements et j’ajuste quelques détails quand on reçoit officiellement la nouvelle. Il se trouve qu’après toutes ces années à fréquenter les lobbyistes du milieu je sais, souvent avant que ça se produise, ce qui fera la manchette. Je pourrais carrément devenir diseuse de bonne aventure dans mes temps libres, si seulement je ne bossais pas soixante heures par semaine.

Et c’est là que le bât blesse. Mon ami Kaël pense que je devrais profiter plus de la vie – c’est sa façon polie de dire que j’ai besoin d’un homme dans mon lit – et travailler moins. On s’entend sur ce dernier point. Il a aussi raison de prétendre qu’il ne se passe pas grand-chose dans ma chambre à coucher. Rien, en vérité. C’est pourquoi je crois que si je changeais d’emploi les conditions seraient plus propices à des rencontres avec la gent masculine. C’est ça, ma préoccupation actuelle, mon boulot est ennuyant et trop prenant pour la satisfaction qu’il m’apporte.

— Kaël, ma vie sexuelle n’est peut-être pas aussi excitante que la tienne, mais elle me convient pour le moment, dis-je en lâchant mon crayon pour attraper ma tasse de café.

— La vie de religieuse te convient pour le moment. Vraiment?

— Disons plutôt que je n’ai pas besoin d’un nouvel amant chaque soir. C’est mon emploi qui me donne envie de m’ouvrir les veines, pas le sexe.

Et je le pense !

Je répète sans arrêt à Kaël que je ne veux pas m’engager à court terme parce que je ne pourrais pas m’investir sérieusement. Je vois mal quand je trouverais l’occasion, car, si la rédaction de mes articles ne me demande que très peu de temps, les heures passées dans les conférences et les cocktails, à l’affût d’une histoire croustillante, elles, s’accumulent. D’ailleurs, à un certain moment, Kaël l’obsédé proposait que je couche avec mes informateurs. « Joins l’utile à l’agréable, Amy. En plus d’avoir des scoops, tu libérerais tes frustrations. » Il ne faut pas avoir sous les yeux le portrait des hommes que je côtoie pour suggérer une chose semblable ! Les vieux croûtons à cravate qui m’entourent au quotidien sont loin des fantasmes qui occupent mes nuits. C’est une façon de parler, parce que, dans les faits,quand la nuit arrive, je plonge mon visage dans l’oreiller et je dors.
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