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Citation de taramboyle


Fraîchement douché, Abad longeait maintenant un trottoir du septième arrondissement de Paris, vêtu de son survêtement de sport et d’un sweater dont la capuche dissimulait sa chevelure lisse et noire. Il tenait dans sa main une grosse boîte à chapeau et un sac Adidas qui paraissait presque vide. En arrivant à l’angle de la rue, il pressa le pas pour parcourir les deux cents mètres qui le séparaient de la demeure d’Yves Lhuillier, un haut fonctionnaire qui se plaisait à rappeler qu’il possédait des informations sur le Tout-Paris et qu’il pouvait aisément en tirer parti. Prétentieux, mais généreux, il devenait insatiable lorsqu’il s’agissait de s’occuper de lui.
Alors qu’Abad allait atteindre son but, la sonnerie de son portable retentit. C’était Fadil :
— Écoute, mon frère vient d’appeler, lâcha-t-il d’un ton sinistre, comme s’il annonçait une mauvaise nouvelle.
Il marqua une pause, espérant une réaction de la part d’Abad qui demeura silencieux.
— Gibran est un peu inquiet. Je lui ai expliqué que tu étais à cran, en raison du mariage de ta sœur. Il sait que tu ne peux déjà pas supporter Mounir, alors il ne veut pas envenimer la situation. Gibran propose de se faire porter malade à la dernière minute, afin de ne pas créer d’histoire. Qu’en penses-tu ?
La simple évocation du prénom de « Gibran » fit brusquement remonter en Abad une mêlée de souvenirs confus et il se sentit soudain fébrile, au point d’interrompre sa marche.
— Allô ? insista Fadil. Toujours là, frère ?
— Non, excuse-moi. C’est juste que je… Je suis touché. Je pensais que pour lui, j’étais devenu un… enfin…
— Je sais que vous avez quelques différends, mais ce n’est pas un mauvais gars. C’est juste dommage que vous soyez fâchés. Tu devras t’en tenir également à distance pour ne pas envenimer les choses. D’accord ? S’il te parle, tu assures le service minimum…
— Si ça continue, c’est moi qui vais tomber malade, plaisanta Abad, en réalisant que l’évènement menaçait de lui coûter nerveusement beaucoup plus cher que prévu. Il peut venir tranquille. Je ne suis pas aussi à cran que tu l’imagines. Ça fait un an et neuf mois qu’on ne s’est plus vus, je peux continuer d’ignorer Gibran le temps d’un mariage avec un connard.
Un nouveau silence s’installa :
— Tant mieux, parce que tu dois savoir que Gibran ne vient pas juste pour le week-end. Il veut terminer son doctorat en littérature arabe et il va rester sur Paris plusieurs semaines…
Abad encaissa cette autre nouvelle, encore plus affolante. Gibran et lui allaient vivre dans la même ville.
— Il sera avec… avec sa copine ?
— De qui parles-tu ? s’étonna Fadil.
— La fille super belle en maillot avec qui il était au bord de la piscine, à Alger ? Je les ai vus s’embrasser sur son Instagram.
Le cousin éclata de rire :
— Ah ? Parce que tu mates son Insta ?
— Mais non, c’est passé sur mon fil, se justifia le plus jeune, d’une voix hésitante. Yasmina, je crois. Et…
— C’est bon, frère, je te taquine. Gibran est trop beau pour une seule gonzesse, tu comprends ? Il les fait défiler deux par deux dans son pieu. Si l’une n’est pas contente, elle dégage et il la remplace d’un claquement de doigts par une autre et…
Abad éloigna le combiné de son oreille, comme si écouter ces détails intimes à propos de son autre cousin l’écœurait et menaçait de détruire définitivement sa libido déjà dévastée.
Au même instant, il reçut une notification de la part d’Yves Lhuillier :
« Tu viens ou pas ? Je te préviens, si tu es en retard, je baisse tes émoluments. ».
— Écoute frère, j’ai un rendez-vous. Dis juste à Gibran que je serai content de le revoir et que… Ou qu’il faut faire table rase du passé et… heu… Non. Ne lui dis rien… Qu’il fasse comme il veut…
Abad raccrocha, sentant une boule d’amertume gonfler dans sa gorge à mesure qu’il s’approchait de la porte de la demeure luxueuse.
Il sonna quatre coups et courut dans la cage d’escalier avant d’ouvrir sa boîte à chapeau pour en extraire son magnifique masque d’Anubis et l’enfiler soigneusement.
Comme les fois précédentes, la porte de l’appartement n’était pas verrouillée et il se glissa à l’intérieur sans faire de bruit, tel un voleur aguerri.
Mais l’idée de revoir Gibran modifiait brusquement sa perception du cadre dans lequel il s’amusait à tromper son monde.
Abad avait toujours considéré Gibran comme une sorte de modèle, un mentor ou un protecteur. Il l’avait sauvé un jour de la situation la plus horrible qui soit et son aîné avait ainsi définitivement acquis son plus profond respect. Les enfants font parfois des promesses qu’ils tiennent tout au long de leur vie d’homme et Abad était de ceux-là. Dans l’ombre et le silence, il vouait secrètement une sincère admiration pour son cousin dont les bonheurs le réjouissaient, plus qu’ils ne le rendaient jaloux.
Abad fut rappelé à la réalité par une odeur de vieux meubles, de livres, de cire, et de parfum d’un autre âge.
Plongés dans l’obscurité et dans un silence morbide, les lieux pouvaient susciter l’inquiétude, ou la peur, en fonction de l’heure et de la lumière. En effet, à plusieurs endroits, des bustes de marbre trônaient sur des colonnes et dans la pénombre, on pouvait aisément les confondre avec d’éventuels agresseurs parés à s’animer à tout moment.
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