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Citation de Nastasia-B


Au petit matin, ma voiture longea pendant deux heures le Nil, en Est, puis, bifurquant à angle droit, se dirigea vers le Sud en plein désert. Point d'abri face au soleil, s'élevant à pas lents, lançant ses rayons de feu sur terre, comme pour accomplir une ancienne vindicte. Point d'abri sinon la torride cabine, ombre qui ne protège pas. Éreintante route qui montait, descendait : et rien qui séduise l'œil. Arbustes éparpillés dans le désert, tout épines, sans feuilles, végétation misérable, ni vivante, ni morte. On pouvait rouler durant des heures sans rencontrer âme qui vive. Puis un troupeau de chameaux maigres, efflanqués, se profilait avant de disparaître. Pas un nuage, promesse d'ombre, dans ce ciel de feu, couvercle de l'enfer. Le jour ne compte pas ici : c'est une torture que subit l'être vivant, dans l'attente de la nuit salvatrice. [...]
Rien. Le soleil. Le désert. Les arbustes desséchés. Les bêtes faméliques. La voiture vibra dans une descente. Nous dépassâmes les ossements d'un chameau ayant subi le salaire de la soif dans cette terre désolée. [...] La route n'en finissait pas. Le soleil ne désarmait point. [...]
Un bédouin apparut derrière la colline, courut vers nous et se mit en travers de la route. Nous stoppâmes. Son corps et ses vêtements étaient couleur de terre. Le chauffeur lui demanda ce qu'il voulait. " Donnez-moi du tabac ou une cigarette pour l'amour du ciel ; voilà deux jours que je n'ai pas fumé. " N'ayant pas de tabac, je lui donnai une cigarette. [...] Assis sur ses talons, le Bédouin fumait avec une avidité et une concentration indescriptibles. [...] Il fit un sort à une seconde cigarette puis gesticula et roula comme un épileptique, ensuite il s'étendit de tout son long, face contre terre, la tête dans les mains, et fit le mort. Il resta ainsi le temps de la halte, une vingtaine de minutes. Quand le moteur de la voiture se remit en marche, il se redressa brusquement, comme ressuscité, et se mit à crier ma louange et à me souhaiter longue vie. Je lui lançai mon paquet de cigarettes. Nous le quittâmes, soulevant un nuage de poussière et je le vis courir vers de misérables tentes près de maigres buissons, en direction du sud. Quelques brebis chétives paissaient auprès d'enfants nus. Où donc était l'ombre, ô mon Dieu ! Une pareille terre ne produit que des prophètes ! À telle sécheresse, à telle disette, point de remède sinon révélé par le ciel. Et cette route interminable, et ce soleil impitoyable...
La voiture gémissait sur ses essieux, la route était un tapis de cailloux. [...] Le soleil, voilà l'ennemi. Il était maintenant au zénith, battant au cœur du ciel, comme disent les Arabes. Un cœur incandescent. Qui semblerait immobile durant des heures jusqu'à entendre les pierres gémir, les arbres pleurer, le fer implorer. [...]
La victoire fut enfin l'issue soudaine de la bataille. Le crépuscule vint non pas sang répandu mais couleur de henné aux pieds d'une femme. La brise nilotique se leva, d'un parfum qui restera inaltérable dans ma mémoire. Comme la caravane qui dépose ses charges, nous nous arrêtâmes. [...] La voiture eut sa part d'huile, d'essence et d'eau, contente comme une pouliche à son heure d'exubérance.
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