Thierry Joumard des Achards

Paris, le 12 Janvier 2004 :

Exceptionnellement, il y a des fins de vacances qui semblent être comme un réveil salvateur après une nuit d'atroces cauchemars. Je rentre de réunion professionnelle où je n'ai pas réussi à avaler quoi que ce soit depuis quatre jours malgré l'excellente gastronomie de mon lieu de travail. J'ai enchaîné entre Noël et la nouvelle année quelques jours d'épreuves physiques et morales des plus extrêmes. Je commence à peine à ne plus avoir la nausée et à ne plus me réveiller en sursaut, effrayé par les images que ma mémoire projette malgré moi sur mon esprit profondément fatigué.
(Frisson de Terre)

Il y a des lieux de voyages dont on revient sérieusement touché aux tréfonds de son âme et qui nous invitent à réfléchir. Comme si ces endroits arrivaient par leurs vibrations à secouer la part d'âme qui nous habite. Auschwitz-Birkenau fait partie de ces points du globe terrestre où se concentrent toutes les dimensions tragiques de l'humanité. Du plus médiocre et cruel Kapo, des abominables médecins S.S. expérimentateurs comme Josef Mengele, jusqu'au père Maximilien Kolbe, Saint de l'Eglise Catholique qui s'est sacrifié pour sauver un père de famille, en passant par les Sonderkommandos juifs qui se sont révoltés pour détruire les fours crématoires et ainsi ralentir l'extermination, ce lieu concentre la grande et la petitesse de la nature humaine.
(Auschwitz-Birkenau : Faisons mentir Hegel!)

25 novembre 2016, Fidel Castro vient de mourir. Et la nostalgie saisit nos politiques et nos médias. Certains, en dressant son panégyrique, ont à se faire pardonner d'avoir été pris en photo avec lui, joue contre joue, même si la barbe, ça piquait un peu. D'autres, en chantant sa gloire aujourd'hui, voyaient en lui la dernière relique poussiéreuse de leur jeunesse et de leurs utopies. C'est étonnant ces réactions. Décidément Fidel Castro et Ché Guevara ne laissent toujours pas indifférent. Il y a toujours des effluves de romantisme révolutionnaire chez nos intellectuels.
(Chaud comme l'enfer)

Nous sommes quelque part le long de la côte orientale sud-africaine. Un ciel bleu sans nuage se reflète dans l'étendue imposante de l'océan Indien. Sous notre bateau, nous aimerions sentir progresser une masse obscure, mystérieuse et gigantesque qui furtivement se glisserait sous la surface sombre des eaux. La tension est palpable. Nous ne parlons plus. Nos regards sont dardés vers les profondeurs, tentant de percer le miroir ridé par un vent léger. Elle se rapproche, c'est certain, les requins et les dauphins semblent nous l'avoir chuchoté à l'oreille.
(La valse des sardines)

Arrivé à la fin de ces "Eclats de voyages" retenus par ma mémoire sélective, je réalise pleinement la profonde dualité de notre monde. Il n'y a pas besoin d'aller bien loin pour perdre sa naïveté et voir que nous évoluons entre ombres et lumières : entre contemplation et dégoût face au spectacle quotidien qui nous entoure. Suite à mes nombreux voyages, après avoir fréquemment savouré le meilleur et constaté souvent avec effroi le pire, je reste là face à une profonde interrogation concernant la présence du mal et de la souffrance parfois poussés à leur paroxysme sur notre planète. Quelles sont les causes des accidents de la vie, de la cruauté, de la maladie et des catastrophes? D'où vient le mal si ancré dans le coeur des hommes? Je ne sais toujours pas... Tant de philosophes, de penseurs, de théologiens et de religieux ont tenté de répondre à ces questions posées à chaque génération arpentant la Terre.
(...)
(Epilogue)

16 Octobre 1994, 14h30 heure locale. La chaleur moite me prend à la gorge dès la descente de l'avion alors que je suis tout engourdi par le vol. Il faut dire qu'en quelques secondes, nous passons des 20°C en air sec de la cabine du 747 qui nous a conduits à Port au Prince, aux 30°C de l'ambiance sursaturée en humidité de la capitale haïtienne. Le voyage, de manière assez prévisible, a été très agité entre les cumulus congestus et les cumulonimbus, restes de la violente agitation cyclonique qui a ravagé le pays trois jours plus tôt. En effet, durant deux jours, les 12 et 13 octobre 1994, l'ouragan Gordon a dévasté le département du sud-est haïtien et tout particulièrement sa capitale, Jacmel.
(Le souffle de Gordon)

Rien de tel, au coeur de l'été, qu'un tout début de soirée. Ce moment où dans la garrigue occitane, le soleil commence à descendre vers l'occident dardant encore de brûlants rayons rougeoyants.
Je m'assois sur une roche calcaire, chaude et blanche. Pas de radio, pas de chaîne d'informations en continu, pas de cris, d'éclats de voix. Pas l'ombre d'une nouvelle sur la violence des hommes et leur cruauté. Perché au-dessus de la grotte du "trou des corbeaux", j'ai le village de Cessenon qui est là, en dessous de moi. Le fleuve Orb, ondule dans la vallée, comme un serpent d'or qui reflète le soleil mordoré et vient caresser les remparts médiévaux de cette fière citée cathare. (...)
(Garrigue cruelle)

Je ne sais pas si mes mots auront la puissance évocatrice suffisante pour faire prendre conscience de la beauté d'un vol de nuit... Les bornes d'une écriture maniée par un humble écrivain sont forcément limitées dans l'expression d'un spectacle touchant l'infini.
Cela n'a donc pas d'autre ambition que de faire partager ces moments d'un esthétisme naturel rare et, qui sait, de faire naître des vocations...

21h15, sortie des hangars à Etampes...Prise de contact avec le soir qui tombe. La navigation a été préparée avec sérieux et tout est tracé au crayon noir sur la carte. (...)
(Nocturne aérien)

De doux alizés caressent la surface de la mer des Caraïbes. Ce jour-là, le chaud soleil des tropiques est de mise comme chaque jour depuis mon arrivée à la Martinique. Quelques jolis cumulus bourgeonnent au-dessus de la Montagne Pelée, volcan imprévisible qui a plusieurs fois ravagé l'île et la ville de Saint-Pierre où je loge durant ce séjour.
Le club de plongée est situé un peu au nord du port de la ville. Il est entouré de restaurants et guinguettes qui embaument le quartier d'effluves d'épices et de plats créoles.
Depuis plusieurs jours, nous plongeons sur les épaves des navires coulés lors de la meurtrière éruption de 1902. (...)
(Orques et Tropiques - L'ordalie de Neptune)