Ce premier roman de Tiery Bourquin mettra probablement plus d'un lecteur mal à l'aise. C'est que, racontée comme une confession, l'histoire de ce photographe, ancien étudiant en philosophie, aborde le sujet délicat du désir et de l'inceste. C'est pour son jeune frère de quinze ans, venu passer sept jours à Paris lorsque le narrateur en avait vingt trois, que son désir est alors orienté. Sept jours vécus comme un compte à rebours, sept jours rien qu'a eux, où la fraternité se mélangera aux désirs et aux pulsions sexuelles. Chaque jour, c'est la camaraderie de deux frères dans la ville, et le soir à la toilette, le désir du plus grand pour le plus jeune, observant la sensualité du corps, l'innocence de la jeunesse.
Au narrateur d'écrire ce livre comme une lettre à celui qu'il appelle son "petit roi", comme une explication, la confession nécessaire de sentiments jamais dévoilés. Parlant de leur proximité charnelle, Tiery Bourquin lui dira que "quelques caresses supplémentaires auraient suffi, mais tu risquais de les confondre toutes, de ne pas voir la différence entre l'apparence mensongère d'une affection de famille et un amour qui aime plus qu'il ne doit". Plus tard, lorsqu'il retrouvera son frère dans la maison parentale, la frustration sera plus grand encore, et alors qu'il le regarde allongé sur son lit torse nu, l'ainé prononce la sentence résumant à la fois son désir et son impossible aboutissement, "je craignais qu'en te touchant je ne vous réduise en cendres, mon désir et toi".
Passée cette première partie sur l'émoi amoureux et la frustration sexuelle, Tiery Bourquin évoque dans un style plus torturé et moins poétique ses relations, avec Teddy à Landor, ou Philippe à Paris, complexes et vouées à l'échec, et sur lesquelles planent toujours cet amour incandescent pour son petit frère.
C'est finalement sans qu'aucune trangression n'ai vraiment eue lieue que le récit s'achève, comme un entêtement déraisonnable, sur un désir inaltéré. Au narrateur de conclure : "tant que l'on se sent assez fort pour avoir mal, on ne renonce pas à la douleur".
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Le Frère préféré, roman
Un jeune homme de 23 ans retrouve son frère de 15 ans, son préféré. « J’ai vu grandir la grâce de ta chair », écrit-il. Qu’est-ce que la fratrie sinon le lien du corps ? Ils sont ensemble pour une semaine, dans un hôtel du 15ème arrondissement, à vivre seuls tous les deux, à marcher dans Paris. Le narrateur consigne chaque moment de ces jours-là, sans rien dissimuler ni idéaliser, il photographie son frère partout où ils vont, son bien-aimé, « un petit dieu, entouré d’idiots », les idiots de la famille, s’entend, sachant que « les photographies se superposent aux souvenirs, au point de les effacer. » Il est sévère et ombrageux, « ne concevant pas d’amour infidèle ». Le petit se prête et se dérobe avec une cruauté de chat. L’aîné ne force rien, tout à son adoration. Sans son désir, qu’y aurait-il entre eux ? L’enfant s’en va, rieur, dans « une pitié molle et sentimentale, qui ne songe qu’à se défendre et à s’éloigner », laissant son aîné dans le désespoir de l’échec amoureux, « sentence de mort » sur quoi s’écrit le livre.
Le livre est écrit pour ne pas oublier, il est hanté par l’amour, il est le corps même de l’aimé, ce corps tout entier vénéré, odeurs, sperme, vomi. Il est un chant, élégie et tombeau. Il proclame « l’exigence de rester un enfant » et il est un adieu déchirant à l’enfance. Il est une ode à l’oisiveté, une déclaration de guerre à la banalité, à l’ennui. Il refuse le stratagème, le bricolage, la stratégie par quoi brillent les écrivains de salon. Il est écrit comme personne n’ose, dans un emportement, une violence folle parfois, une délicatesse, une beauté prophétique.
Ces pages crues et vraies sont autant façonnées par la vie que par la littérature. Elles sont traversées par les rencontres - passes anonymes ou cristallisations -, les paysages où le narrateur marche sans fin – fleuves, doux vallonnements des Vosges à l’automne, Paris donné par Hugo, dont Bagatelle est « le bois sacré », Paris qui se décompose quand s’approche la séparation, et Vincennes où les motards déroulent leur « orgie masculine ». Elles vibrent de philosophes et de poètes, poètes surtout, « qui ne discutent pas des vérités nécessaires » : Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Ovide, Louise Labé, Gibran, Hölderlin, Hoffmann, Proust, Mallarmé, tant d’autres, tous ceux que nous aimons. Ils sont, à l’instar du bien-aimé, les muses du narrateur. Il lit, il voit, il aime, il écrit d’un même élan profond et joueur. Ici, l’ingénuité, l’absolue pureté de l’enfance ont une langue stupéfiante d’élégance, de musicalité, de préciosité parfois.
« Mon rêve d’esprit libre a toujours été celui d’une humanité fière et hautaine à la fin de son histoire », écrit l’auteur. Et que ce premier roman « serait le dernier ». Cela se pourrait : il y brûle ses vaisseaux. Mais j’espère qu’il se trompe, qu’il nous donnera d’autres rendez-vous. En attendant, lisez ce livre extraordinaire.
Marie-Noël Rio
Tiery Bourquin, Le Frère préféré, 232 pages. Éditions Héloïse d’Ormesson, 2008, 18 euros.
(Ne vous laissez pas rebuter par le racolage de l’éditeur sur la couverture, ni par la méchante mise en pages).
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