Pourquoi exister ?
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Ce tome fait suite à King in Black: Return of the Valkyries (minisérie en 4 épisodes) qu'il faut avoir lue avant pour savoir qui est Rūna. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, co-écrits par Jason Aaron et Torunn Grønbekk pour les séquences de Jane Foster, par Grønbekk seule pour les séquence de Rūna. Ils ont été dessinés, encrés et mis en couleurs par Mattia de Iulis pour Jane, par Erica d'Urso pour Rūna, avec une mise en couleurs de Marcio Menyz. Les couvertures ont été réalisées par de Iulis. Ce tome contient également les couvertures variantes réalisées par Russel Dauterman, Mahmud Asrar (*3), Todd Nauck, Carlos Pacheco, Skottie Young, Peach Momoko, Rian Gonzales, Phil Jimenez, Terry Dodson.
Il y a deux semaines, des triplés ont vu le jour, extraits de la sécurité du ventre de leur mère, de Midgard vers Hel, en passant au-dessus de la rivière Gjöll, nourris avec le lait de grande vache Auoumbla. Sur Terre, une femme ne comprend pas le vide dans son ventre matriciel. À New York au temps présent, Jane Foster prend sa pause auprès de Mina Anderson, femme âgée alitée, qui lui raconte ses souvenirs de jeunesse, pendant la seconde guerre mondiale, comment elle a pu séjourner un an dans un hôpital où elle se faisait passer pour une malade en présence des soldats allemands, et elle soignait les malades le reste du temps. Jane finit par sortir de la chambre pour rejoindre son poste à la morgue. Elle croise le docteur Stephen Strange dans les couloirs. Il l'informe de la présence d'une bête vicieuse rôdant dans New York. Il s'interrompt quand leur supérieure hiérarchique la docteure Regina Hagen arrive dans leur dos et leur suggère vivement de reprendre leur poste de travail. Jane descend jusqu'à la morgue et interroge le médecin Rudy Gillespie pour savoir si des cadavres portant des marques d'agression par un animal sauvage, ont terminé dans la morgue. Il se moque d'elle parce qu'elle devrait le savoir vu que son travail est d'enregistrer les entrées. Il finit par indiquer qu'il a entendu parler de ce type d'attaque par un collègue. Il finit par céder et par indiquer dans quel bar un collègue lui a raconté cette histoire.
Le soir, Jane Foster s'habille pour sortir et se rend dans le Bar Restes du jour. Elle commande un cocktail et se fait aborder par un bel homme blond qui lui raconte une anecdote sur Jimmy Carter : il aurait fait porter un de ses costumes au pressing, avec un papier sur lequel figuraient les codes de l'arme nucléaire, dans une poche. Il y a trois jours, dans le royaume de Hel, Hela reçoit un de ses serviteurs qui lui apportent des nouvelles : le loup dévoreur de monde est parvenu à s'échapper, personne n'a vu son épouse Karnilla depuis plusieurs jours. Elle indique qu'il faut requérir les services d'un chasseur, et elle ordonne qu'on localise son épouse. Jane poursuit la conversation en évoquant la différence entre les labyrinthes et les dédales. Elle finit par proposer à son interlocuteur de sortir : une fois dehors elle demande à Loki ce qu'il veut.
Dans le tome précédent, une des neuf valkyries originelles faisait son retour. Le lecteur ne sait pas trop si elle sera de la partie pour ce quatrième tome consacré à Jane Foster, co-écrit par Jason Aaron qui avait fait d'elle Thor lorsqu'il écrivait la série de superhéros de 2012 à 2019. L'éditeur Marvel ayant pris la décision de consacrer une série de miniséries au personnage, il avait accepté d'en coécrire les aventures. Le lecteur se doute qu'il assure la ligne directrice de chaque minisérie, ainsi que la cohérence avec la mythologie nordique à la sauce Marvel, et la continuité avec ce qu'il a pu écrire. Il ne sait pas trop si les éléments mythologiques contenus dans cette nouvelle aventure proviennent de lui ou de Torunn Grønbekk. Quoi qu'il en soit, les auteurs piochent dedans pour ce récit : le loup et sa dualité, Hela, la reine des enfers (le royaume Hel), son épouse Karnilla, et bien sûr Loki. Ils font également en sorte de l'inscrire dans l'univers partagé Marvel, avec un célèbre chasseur ennemi de Spider-Man, un dieu du tonnerre bien connu, et Stephen Strange qui était déjà présent dans la minisérie précédente. Pour autant, la tonalité principale n'est pas celle d'un comics de superhéros, mais plus celle d'une histoire mythologique, intriquée dans le temps présent. En fait, il faut même un peu de temps avant que le lecteur ne perçoive les différents fils narratifs.
En lisant la page de crédit, le lecteur comprend qu'il va être amené à suivre deux valkyries, chacune agissant de son côté. Il s'avère que le premier épisode est double et qu'il installe plus que deux fils directeurs. Rūna voyage abord d'une petite navette spatiale, à la recherche d'un ancien ami avec la capacité de prédire l'avenir. Jane Foster enquête sur cette histoire de bête sauvage s'attaquant à des newyorkais. Karnilla fait tout ce qu'elle peut pour protéger ses triplés dans un recoin bien caché de Hel. En arrière-plan, le lecteur garde à l'esprit que Loki n'est certainement pas intervenu par bonté d'âme, ou de manière altruiste. L'histoire s'avère donc plus fournie qu'une simple course-poursuite contre un monstre.
Dès la première page, le lecteur retrouve avec grand plaisir les dessins si sophistiqués de Mattia de Iulis. Il travaille à l'infographie, dans une technique mêlant de très légers traits de contour de type encrés, avec la couleur directe. Les informations visuelles sont plus apportées par les couleurs que par les traits encrés. Le lecteur constate bien que l'artiste sait tout autant s'affranchir de représenter les arrière-plans que les autres dessinateurs de comics de superhéros, mais le fait qu'il réalise lui-même sa mise en couleurs rend l'usage de ce raccourci beaucoup moins visible. Le lecteur éprouve la sensation de pouvoir se projeter dans chaque environnement, grâce au travail sur l'ambiance lumineuse, et le rappel élégant des du décor sous la forme d'un fond de case comme un arrière-plan flouté dans lequel l n'est pas possible de distinguer les éléments, mais qui conserve les masses correspondantes. Ainsi, même quand le décor n'est pas représenté toute une page durant, le l'esprit du lecteur le projette sur les camaïeux. Ces pages sont habitées par des personnages élégants, sans être des top-modèles, sans exagération morphologique, ni musculaire pour les hommes, ni des courbes pour les femmes. Par exemple, Jane Foster est très séduisante dans sa robe de soirée, sans être une bombe anatomique. Le lecteur apprécie également le niveau de détails dans la représentation des costumes, par exemple la partie cotte de mailles de Valkyrie, dans laquelle il ne manque aucune plaquette métallique.
De Iulis privilégie les cases de la largeur de la largeur de la page pour un effet panoramique, tout en prenant le temps nécessaire pour intégrer des informations visuelles dans toute la largeur, et pas uniquement au milieu ou que d'un seul côté. Il sait créer des moments spectaculaires qui s'inscrivent dans l'esprit du lecteur : l'attention que Jane Foster porte à la vieille dame dans son lit d'hôpital, le regard courroucé d'Hela, le jeu de la conversation dans le bar, la bête sauvage qui attaque toutes griffes dehors droit vers le lecteur, Karnilla tenant un de ses nouveau-nés dans ses bras, la même Kanilla guidant un nouveau mort dans Hel, l'arrivée majestueuse du cheval ailé de Valkyrie, le squelette de paon avec encore tout son plumage dans Hel, ou encore la vue de dessus dans laquelle Valkyrie monte droit vers le lecteur avec une armée de squelettes dans son sillage. Par la force des choses, les pages dessinées par Erica d'Urso apparaissent plus conventionnelles : des formes détourées par un encrage classique. Pour autant la mise en couleurs est soignée, et les scènes sortent de l'ordinaire, s'apparentant presque à une bande dessinée d'aventures franco-belge. En outre comme elle met en scène un autre personnage, il y a une logique narrative à ce que ce soit un autre artiste.
Les scénaristes entremêlent donc l'histoire de plusieurs personnages, dans une intrigue qui s’avère dense, avec des dialogues eux aussi bien fournis. Le lecteur se rend vite compte qu'il est dans une bande dessinée personnelle, n'ayant que peu de points communs avec la production industrielle habituelle des comics de superhéros Marvel. Jane Foster reste une belle héroïne du fait de son empathie et de sa sollicitude. Rūna gagne la sympathie du lecteur par ses hauts faits, son caractère agréable et sa quête d'identité. La bête sauvage s'avère être un individu qui découvre la liberté, après avoir été maltraité pendant des années : il est donc plus complexe que le simple ennemi du mois, et rapidement attachant même s'il reste dangereux. Le lecteur finit par comprendre que la situation périlleuse a été déclenchée par une action de Karnilla : là encore, il ne s'agit pas de devenir maître du monde, mais d'assouvir une aspiration bien naturelle, dans lequel le lecteur peut se reconnaître. Les auteurs racontent une intrigue prenante, et font exister des personnages complexes mus par des motivations adultes.
Contre toute attente, les responsables éditoriaux accordent une quatrième minisérie au personnage très secondaire de Valkyrie. Contre toute attente, il ne s'agit pas d'un produit préformaté, mais d'une histoire touchante, avec des personnages plus sophistiqués qu'une dichotomie bien/mal. Le dessinateur de la majeure partie des épisodes est impressionnant avec ses images proches de l'illustration, et sa mise en page fluide. La dessinatrice ne fait pas pâle figure pour autant, avec un rendu plus traditionnel, sans être face. Le lecteur se sent vite captivé par l'intrigue, s'attachant aux personnages, partageant leurs interrogations sur des thèmes très humains.
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