C’est bien difficile, même pour du monde normal, de s’expliquer tous nos penchants; alors, imaginez-vous ce que cela doit être pour elle, une muette. Elle n’a pas de mots dans sa tête. Les mots, c’est mieux que rien pour essayer de comprendre le monde et pour se justifier aux yeux des autres, et aux siens, d’ailleurs.
Très tôt, il avait appris que le monde se divise en deux : d’un bord, les amis et de l’autre, les ennemis. Il se débattait, en enfer, à chaque combat. Derrière chaque arbre, un Indien se cachait avec ses flèches et un Anglais se dissimulait sous chaque drapeau différent du sien. Il utilisait sans cesse des « donc » pour masquer ses doutes et cacher ses hésitations. Il venait de France et il savait construire des murs de pierres comme pas un dans son village, comme pas un dans sa commune même et il savait reconnaître les champs telluriques qui créent des nœuds quand ils se croisent avec les forces du ciel.
Quand il se remémore ces souvenirs brûlants, le père de Maudelaine éprouve encore de la colère. Mais avec les années, les émotions se sont déposées au fond de lui. Comme les limons de la rivière. Allait-il risquer de réveiller ces monstres endormis que la vigilance de sa femme a réussi à maîtriser, d’une certaine manière? Leurs enfants n’ont pas été exclus des bancs d’école, c’est toujours bien ça de pris! La Révolution tranquille, qu’il a vue arriver avec espoir, lui donnait la certitude que le passé serait enterré.
Mais le père Raphaël ne veut plus repartir. Il a trouvé, en Neuve-France, la liberté de penser que la France surpeuplée lui refuse. Il va désobéir. Il dit que ce qui est défendu dans la loi écrite est permis dans la loi de grâce. Depuis qu’il est ici, la nature indomptée le fascine et il respire mieux. Il n’a jamais désiré une femme, de peur de la choquer. Mais, près de Maggie, son trouble se transforme en désir. Il la voit se languir, s’inquiéter, se tordre.
L’histoire nous condamnera.Nous devrions plutôt transmettre à ces peuples la connaissance, car il est grand temps que cessent la mesalliance et ignorance.
Il y a des temps obscurs qu’on ne traverse qu’en tâtonnant. Et ce n’est qu’avec le temps que le sens de certaines situations se révèle.
Déjà, sur le vieux continent, elle avait appris à ne revêtir que les apparences de la soumission. Ici, dans la grandiose nature de ce continent mystérieux et, à son insu, une fascination pour la liberté s’était emparée d’elle. Une nouvelle façon d’être à la vie. Comme si le silence devenait une parole intime qui a résisté à tous les outrages.
C’était un homme plutôt court, plutôt carré, avec de larges mains démesurées. Il n’était pas jeune sans être vieux. Il n’était pas beau, mais personne n’aurait pu dire qu’il était laid. Il y avait en lui ce quelque chose de fruste qu’il avait dû mater et cela donnait à sa personne une certaine ambiguïté.
On ne sait jamais ce qui se cache derrière les infirmités. C’est peut-être un châtiment du bon Dieu pour expier une faute grave commise en d’autres temps. Quoi qu’il en soit, on ne sait rien d’elle. On ne peut donc pas changer grand-chose, sinon s’en remettre à la divine Providence et aux circonstances.
Il la regardait avec des yeux très vifs. Des yeux de chasseurs. Elle aurait voulu se laisser bercer, se laisser prendre sous ses jupes qui ne demandaient qu’à être relevées. L’âme de l’homme était verrouillée. Ses besoins devenaient explosifs comme des agressions.