Poésie - Bonne Année -Tristan DERÈME
LES FRAISES
Les fraises dans le plat de blanche porcelaine
Gardent la fraîche odeur de l'aube dans la plaine,
Des branches, de la mousse et des sources glacées,
Sur la nappe, j'ai mis ton bouquet de pensées
Et tandis que, les yeux pensifs, tu te recueilles,
Ce soir grave, je vois glisser entre les feuilles
La lune comme dans les vieilles élégies.
Un souffle tiède et pur caresse les bougies
Et berce la glycine et les roses blafardes,
Et la tonnelle. Prends des fraises. Tu regardes
Au champagne doré le sucre se dissoudre,
Le temps sur nos cheveux verse du sucre en poudre
Et j'aurai quelque jour de larges mèches blanches.
Mais qu'importe ! ce soir vers moi si tu te penches,
Sans crainte de l'automne et des feuilles rougies,
Et si pour mes baisers tu souffles des bougies .
Pour distraire mon ami le poète Léon Vérane
Du recueil La Verdure dorée
LE PÊCHEUR À LA LIGNE
Vainement un peuple s'indigne
Du temps que perd,
Sous son chapeau doublé de vert,
Le mortel qui pêche à la ligne.
Au soleil ou dans la fraîcheur
Qu'un bois lui verse,
Il rit à l'ombre que traverse
L'éclair d'un bleu martin-pêcheur.
Il rêve, et rêve d'une sole
Ou d'un poisson aérien ;
Mais c'est un sage : il se console
S' il ne prend rien.
A son logis, il rentre et dîne
D'une sardine
À l'huile. Il a le coeur tremblant,
Car devant la sardine, il songe...
Il voit la dorade et l'éponge,
Et sous ses yeux un requin plonge
Dans cette boîte de fer-blanc.
Il peut être loin de la grève :
Il suffit de faire un beau rêve...
Voici la nouvelle année
Souriante, enrubannée,
Qui pour notre destinée,
Par le ciel nous est donnée :
C'est à minuit qu'elle est née.
Les ans naissent à minuit
L'un arrive, l'autre fuit.
Nouvel an ! Joie et bonheur !
Pourquoi ne suis-je sonneur
De cloches, carillonneur,
Pour mieux dire à tout le monde
A ceux qui voguent sur l'onde
Ou qui rient dans leurs maisons,
Tous les vœux que nous faisons
Pour eux, pour toute la Terre
Pour mes amis les enfants
Pour les chasseurs de panthères
Et les dompteurs d'éléphants.
(Poème de Tristan Derème)
Tristan Derème (1889-1941)
Nous attendions des héroïnes
Qui dormissent sous des troènes
Ou tendissent sur des terrasses
Des lis verts et des branches rousses.
(La verdure dorée)
Une plaque dans l'herbe
Au square des Poètes
(Paris 16eme)
CIII
T'en souviens-tu (comme on écrit dans les romances)
T'en souviens-tu de ce dimanche des dimanches
Où nous avons erré sous les mornes platanes
Après l'azur et la poussière et la chaleur?
Souvenirs, souvenirs, venez qu'on vous rétame,
C'est moi qui suis le rétameur!
Ah! malgré qu'on veuille sourire,
Moi, j'ai des larmes plein le cœur
Et je m'en vais à la dérive.
Cette musique au loin et ces bouffées de cuivre,
Polka pour deux pistons et grands airs d'opéra
La Favorite, l'Africaine, etc....
La même lune va reluire
Et refléter son cristal nacarat
Dans l'eau chaude du fleuve.
Un vent tiède se prit à remuer les feuilles.
Tes mains étaient pleines de larmes.
Les tramways en passant t'éclairaient le visage.
Près d'un café pleurait une aigre clarinette.
Un grand magnolia balançait ses fleurs blanches,
Et la lune pendait aux branches,
Douce lanterne japonaise.
p.166-167
La Verdure dorée
CXL
Chambre d’hôtel morose et vide. Un œillet penche
Et touche le miroir triste où tu contemplas
Ta gorge nue. EAU CHAUDE. EAU FROIDE. MM. les
Clients sont priés de régler chaque dimanche.
C’est dimanche. Réglons les comptes de ce cœur.
Rideaux jaunes et noirs, quel funèbre décor !
Tu n’es plus là. J’ai lu Delille et l’Annuaire
Des Téléphones, pour ne plus songer à tes
Sanglots ; mais je voyais tes larmes et restais
Des heures, les yeux clos, trop habile à me nuire,
À remuer ma peine au lieu de l’endormir
Et mâchant ma douleur comme un fruit trop amer.
p.79
XXIX
Les jours sont plats comme des soles
Et la rouille a couvert mon cœur;
Mais tu parais et tu consoles
Mon amertume, ô remorqueur !
Amour, nous sommes les chaloupes
Vides sur le flot des hivers,
Et nous rêvons de Guadeloupes
Où rugissent des lions verts.
Là-bas, vibrent des promontoires
Sous le cri de tigres ailés;
Et dans des champs de roses noires
S'étirent des chats violets.
Des oiseaux sont couverts de feuilles ;
Des plumes poussent dans les prés...
Emmène-nous, toi qui recueilles
L'espoir des rêves déchirés.
Amour, jette-nous tes amarres ;
Vois nos larmes, entends nos cris.
Les soirs dorment comme des mares
Autour des cœurs endoloris.
p.49
LXXXVIII
Oui, je chante la joie ivre et passionnée
Et je noue à ma barbe une rose fanée
Pour songer nuit et jour qu'il faudra que mon corps
Se dissolve comme elle et quitte les décors
Fastueux où le monde épanouit sa force.
Je m'en irai. Je tomberai comme l'écorce
Des platanes, comme les feuilles, comme les
Roses! Je suis vivant! Ciel, nuages gonflés
D'eau lourde, bois roussis par les torches d'automne,
Vergers où l'or vivant des abeilles bourdonne,
Fruits riches, souvenirs d'un magnifique été,
Moissons, je vous respire avec avidité
Et je mêle ma vie au triomphe des choses,
Éperdu comme les feuilles, comme les roses!
p.139
LXVI
À Henri Martineau.
Lève le nez, ferme ton livre et ton pupitre.
La flûte de cristal à la bouche du pâtre
Module sous les fleurs nouvelles et les feuilles
Un air grave qui fait rougir les jeunes filles ;
Et son souffle fervent, magnifique et docile
S'épanouit dans la lumière universelle.
Elle chante la joie et les collines fraîches.
Le cri des paons, le vert des bois, le bruit des ruches,
L'écarlate des liserons sur les écorces,
Le bleu du ciel, le bleu des yeux, le bleu des sources ;
Elle chante, elle vibre, elle crie, ô nature,
Elle te loue et s'abandonne à ton mystère
Et son âme n'est plus qu'une phrase amoureuse.
Elle vibre et soudain trop ivre elle se brise
Et, poussière immortelle, au monde elle se mêle.
Douce flûte et mon cœur qui se donne comme elle.
p.103
LXXI
Je crayonne ton nom sur la peau d’un tambour
Au corps de garde. Où est le jour ? Où est le jour
Où tu tendis tes mains vers mes lèvres ? La pluie
Battait les vitres. Dans ma mémoire éblouie
Tu refleuris, bouquet de roses qui trempais
Dans l’ombre et parfumais l’oubli des canapés.
Sur toi mon souvenir est la caresse douce
D’un clair de lune sur les collines. Soir d’où ce
Bonheur m’est venu ! Soir rare dont je rêve en
Larmes, où j’ai compris ton visage fervent
Qu’atténuait déjà le charme des automnes.
J’avais un air mélancolique et des grands jaunes.
(in La verdure dorée)