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Citation de Charybde2


Je ne tenais pas encore debout quand mon père, un matin après avoir peigné sa barbe sombre, me souleva de terre et me dit seulement « Viens ». Ce fut la première fois que je vis ce monde. Je me rappelle l’odeur de cet homme qui me tenait dans ses bras, ma tête contre sa joue, les poils de sa longue barbe dans laquelle j’essayais de me cacher, je me rappelle les gens qui nous saluaient, je me rappelle une voiture avec un cheval et puis une série d’enseignes colorées. Nous arrivâmes devant quelque chose qui devait être important parce qu’il s’arrêta un moment, recula de deux pas comme pour mieux regarder et, me montrant une vitrine bordée d’un bois couleur cannelle, il dit d’une voix claire et forte : « C’est la boutique ».
Nous entrâmes dans un antre sombre, rempli d’immenses rayonnages allant jusqu’au plafond, un ciel qui me parut vieux et égratigné comme mon plancher. Je vis des comptoirs, et sur les comptoirs des piles de boîtes et des rouleaux de tissu, des coupons de laine colorés qui montaient et descendaient des murs. La lumière était pâle, bien que le soleil entrât par la fenêtre. Mais c’était un soleil anémique, comme si en entrant dans cet endroit, il perdait toute envie de vivre et de briller, et cédait à l’odeur de laine qui prenait à la gorge.
Les vendeurs saluèrent l’hôte imprévu, et se démenèrent pour me montrer l’essence de ce monde ; ils me prenaient la main et la faisaient passer sur les étoffes, ils me faisaient toucher les différents types de tissage, m’expliquant leurs différences, parlaient et citaient des noms inconnus de tissus et de villes. Mais ce qui m’attira le plus, dans tout ce tourbillon nouveau de voix et de choses, ce fut le Livre, le grand livre qui dormait sur le comptoir, plein de signes étranges et de petits morceaux d’étoffe qui y étaient accrochés. Je me fis poser sur le comptoir pour le toucher, je feuilletai avec précaution et attention ces pages immenses, je suivis du doigt les lignes écrites et, pour la première fois, je fis un véritable sourire de satisfaction. Ce fut mon premier désir manifeste, un livre mystérieux sur lequel dessiner la magie des mots. Les gens autour firent des commentaires amusés, adressés à mon père qui, se lissant la barbe satisfait, dit solennel une seule phrase, pour lui-même :
« Mon fils a l’étoffe d’un comptable ! »
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