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Citation de michelekastner


César, mon père, était médecin de campagne comme moi. Il m'a tout appris de mon art. Plus qu'aux facultés de Caen et plus tard de Rouen, c'est auprès de lui, en suivant pendant quatre années sa pratique quotidienne, que j'ai compris la véritable substance de ce métier. J'ai commencé à l'accompagner durant l'année terrible de 1814, alors que des troupes étrangères avaient envahi la France.
Il s'agissait de faire payer au peuple l'arrogance de l'Empire. Tous les moyens étaient bons, avec, par malheur, la complicité de nos gouvernants. Viols, meurtres, tortures s'amoncelaient avec une virulence que je n'imaginais pas possible.
Il m'avait demandé de l'assister. J'étais alors presque un enfant. Nous parcourions toutes les routes du canton. des villages entiers avaient été incendiés. L'amertume nous était devenue quotidienne par la honte de voir notre territoire envahi d'une soldatesque dont nous ne comprenions ni les mots ni les attitudes. Il nous paraissait payer là quelque chose comme un péché collectif. Il avait pour nom la quête de la liberté. Car quoi que l'on puisse penser de la Révolution, elle nous avait apporté un bien considérable : nous étions maîtres de notre destin. Nous avions goûté au fuit de l'affranchissement. Ce goût, on tentait de nous le faire passer. Mon père avait une pratique longuement acquise dans le commerce quotidien de ses malades qui, tout en se méfiant de lui et de la médecine, le voyaient souvent comme un dernier recours aux aléas de la fatalité. En le suivant, j'ai compris les raisons profondes de ses silences. Que dire face à la mort convulsive et brutale des femmes, des enfants, des vieillards ? Qu'exprimer lorsque, sans souci du lendemain, on doit entrer dans des lits-cages puants de miasmes et de suées, pour ausculter des sujets qui ont déjà l'odeur de la charogne ? D'autant que, loin d'être le démiurge que l'on croit, le médecin est fait de sang et de fluides, et peut céder aux tempêtes des dérèglements de l'organisme. Combien de confrères, après avoir ausculté les humeurs, palpé les corps, incisé les bubons, ont-ils ressenti les atteintes d'un mal qu'ils savaient incurable ?
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