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Citation de hcdahlem


INCIPIT
Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n’était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas bougé. Tout en a découlé.
 C’était le dernier vendredi d’août. Il était tard, le camping dormait. Restaient les ados sur la plage. J’avais dix-sept ans moi aussi. Je n’étais pas avec eux. J’essayais de dormir et leur musique m’en empêchait. Elle franchissait la dune avec les vagues et les rires. Quand elle s’arrêtait, c’étaient mes parents que j’entendais remuer dans leur tente. Je ne tenais pas en place. Mon matelas gonflable s’enfonçait sur des pierres, le sable collait à ma peau. Parfois le sommeil venait, mais alors quelqu’un criait sur la plage. C’était une espèce de joie féroce dirigée contre moi, une grande danse autour de ma tente. J’arrivais au bout de mes forces. Une journée encore, et les vacances seraient finies.
Cette nuit-là j’ai préféré me relever et marcher dehors. Tout était calme de ce côté. Les tentes et les bungalows se confondaient en ombres. Seul le distributeur de préservatifs continuait à briller. Ça disait « Protégez-vous ». Ça disait Faites-le, surtout. Chaque soir les ados en achetaient, fiers et honteux. Acheter, c’était déjà le faire un peu. Souvent ça finissait en ballon de baudruche et ça crevait dans les airs, comme un nerf qui claque au fond du cœur. Ce camping, j’en connaissais toutes les couleurs. Deux semaines que j’en arpentais les allées, que j’inventais des détours pour faire passer les heures. J’étais allé à toutes les soirées. J’avais fait l’effort. Et chaque fois je m’étais égaré, au bout de quelques verres, j’avais feint d’aller en chercher un autre pour longer le rivage et rentrer sans être vu. Mais je dormais à peine. La musique ne s’arrêtait pas. Quelque chose demeurait soulevé dans ma poitrine et me maintenait tendu jusqu’à l’aube.
C’est dans un détour, cette dernière nuit, que je suis tombé sur Oscar. Je suis passé devant le parc de jeux et je l’ai trouvé sur la balançoire. Il était saoul. Les cordes étaient enroulées autour de son cou. Je me suis demandé d’abord ce qu’il faisait là. Je l’avais vu plus tôt danser sur la plage avec les autres. Il avait embrassé Luce et j’avais failli vomir, je m’en souvenais, leurs corps presque nus se détachaient dans le noir. Je l’ai observé désormais seul sur sa balançoire et j’ai compris qu’il mourait. Les cordes l’étranglaient doucement. Il avait fait cela tout seul et peut-être, à en croire son visage, avait-il changé d’avis. Je n’ai pas bougé. Rien ne bougeait dans ce parc isolé. Les pins montaient haut et voilaient la lune. Soudain, Oscar m’a vu : ses yeux se sont fichés dans les miens et ne m’ont plus lâché. Il a ouvert la bouche mais rien n’est sorti. Il a remué les pieds mais son corps n’a pas suivi. Nous nous sommes regardés ainsi. J’avais voulu parfois qu’il disparaisse, c’est vrai, les autres jours, en le voyant sourire dans son maillot bleu. La musique persistait de l’autre côté de la dune, je reconnaissais le refrain : Blow a kiss, fire a gun… We need someone to lean on… Cela a pris du temps. C’est long, de mourir étranglé. L’instant de sa mort s’est lui-même étiré et m’a échappé. Je me suis simplement senti de plus en plus seul. À un moment sa tête a basculé en avant, ce qui a dû donner un élan aux cordes, car elles sont reparties dans l’autre sens, se sont démêlées de plus en plus vite et l’ont libéré. Il est tombé comme une loque sur le sol souple du parc.
J’avais fait peu de bêtises en dix-sept ans. Celle-ci a été difficile à comprendre. C’est allé trop vite et trop fort. Je me suis approché. J’ai touché l’épaule d’Oscar, puis je l’ai secoué et frappé. Son regard vide a glissé sur moi quand je l’ai retourné. J’ai voulu réfléchir mais des voix sont arrivées depuis la plage. Un petit groupe rentrait dormir. Ils parlaient fort, ils étaient saouls eux aussi. J’ai cru qu’ils pourraient m’écouter. Je les ai appelés mais ma voix n’est pas allée loin, elle est restée près de moi. Ils se sont éloignés en riant. « Vos gueules ! » a crié un campeur depuis sa tente. Ils ont disparu. La musique aussi s’est éteinte sur la plage. Les derniers sont passés. Je me suis tenu debout dans le parc, longtemps, sans me cacher. Enfin j’ai été absolument seul, avec Oscar, qui continuait d’être mort à mes pieds.
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